Pays lointain, année éloignée.

Pays noir, période de jeunesse.

Nous nous éloignons de la capitale étouffée et humide pour rejoindre la mer. Nous passons par des petits villages, parfois on s’arrête. On achète des conneries qui rouilleront avec les années, on regarde les gens, les marchands, on négocie bêtement, on rit.

 

C’est joli l’Afrique.

 

On longe la côte, le chemin est toujours agréable, nous n’avons pas peur de nous faire arrêter ou voler.

 

Il faut une heure pour arriver à destination. La destination, ce sont de belles « cabanes » aménagées qui font face à des plages vides.

Plus loin il y a le village et ses habitants « locaux », mais c’est plus loin.

 

La mer c’est l’atlantique, les grandes vagues et le danger. Notre hôte siffle lorsqu’on s’éloigne trop du bord.

Ces étendues impeuplées représentent mon idée du luxe.

 

On nous présente les autres invités, ce sont des libanais, des marocains, des français qui vivent dans ce pays. Ils sont plutôt riches, ils ont, comme on dit, « la belle vie ».

Le visage de certaines personnes s’illumine quand on leur dit qu’on est algérien. L’un d’eux, français, s’écrie « Ah moi aussi!! »

Euh……..

Vous souriez poliment : « Ah oui? »

« Ouiiii je suis né à Oran, dans le quartier X! Oh comme ça me manque…… tu connais la rue Y? J’allais à l’école là bas!……………. Dis-moi elle existe encore la petite pâtisserie? »

 

La personne en face de moi a l’accent qu’aurait pu avoir le fils de Richard Anconina et de Biyouna.

La caricature n’est pas une utopie, ma soeur et moi étouffons un éclat de rire.

 

Ca parle de couscous et de petits gâteaux, ça parle fort, ça ressemble à tous ces clichés qu’on croyait fantasmés.

 

Ca fait bizarre de les entendre dire  » mon pays » quand ils parlent de l’Algérie.

Euh…. Y a pas un souci là?

Vous avez 19 ans, ils en ont 50, vous fermez votre gueule. Vous les entendez radoter sur leur envie de revenir, pour un voyage, et vous pensez  » ben venez, y a des promos en ce moment« .

On trouve ça un peu fantaisiste cette difficulté à revenir.

 

Je les regarde, le mode de vie qu’ils ont choisi ressemble à celui qu’on s’imagine d’une certaine Algérie française. Vivre dans un pays d’Afrique, avec des privilèges, des moyens, répéter « je suis chez moi », devoir partir quand on n’a plus le choix.

 

Je leur en veux un peu pour ça.

 

Les jours passent, les masques tombent peu à peu, les intonations retrouvent leur naturel.

Vous les regardez bien, il y a du sang qui coule de leur langue quand ils disent « Algérie ».

C’est quelque chose au niveau de la lettre « i », quelque chose qui tremble, et qui crée une fêlure.

 

Quand il n’est pas crié pour mieux se cacher, le mot « algérie » sort difficilement, il y a un effort, un ravalement de la gorge.

 

Les jours passent, les vraies histoires ne se partagent pas mais transparaissent dans l’être. Les gens en face de moi n’ont rien demandé à personne, ils sont nés en Algérie, y ont grandi, avaient forcément une conscience de la différence, mais c’était leur vie.

 

On  a parfois du mal à croire en leur innocence. A séparer l’attachement au mode de vie ou à la vie.

C’est troublant ce gouffre de l’identité où la seule réelle origine semble être la mémoire.

Je les plains pour ça. Je les observe, ils parlent de ce présent  pays d’Afrique Noire comme leur pays, encore une fois.

Je me dis qu’après l’Algérie, ils n’ont pas pu rester en France et vivre comme des français en France, il fallait la mer et l’idée de la distinction. Sans vouloir être étranger.

Mais je me dis que j’ai peut-être tort, qu’est ce que j’en sais de la vie des gens, je n’ai même pas 20 ans.

 

Quelques temps plus tard, des circonstances de guerre ont tout bousculé dans ce pays. J’ai pu voir la réaction  des ces français. Certains ont retrouvé Paris dès le premier coup de feu.

D’autres sont restés, à rassurer leurs amis en leur disant « mais c’est mon pays, je ne vais pas le quitter car ça va mal« .

Il y a eu ceux qui ont été contraints au départ, la mort de la vie dans l’âme.

 

Tous ces départs comme l’histoire qui s’entête contre eux. Ce chez-soi qui ne veut plus de vous.

 

J’en connais qui cherchent encore des pays d’accueil à l’image, je crois, des colonies.Je les ai fréquenté peu de temps mais quelque chose en moi a gardé leur empreinte.

 

Je me permets parfois de croire que la préservation d’un certain mode de vie est leur unique destinée, puis je repense à leurs voix et à leurs visages. Tout est blessé en eux, ils sont une image sanguine d’êtres desséchés et déconstitués. Je suis triste pour eux. Triste pour les mots qui n’arrivent pas à sortir, pour ce qu’on assume pas, pour nos yeux qui pleurent de l’intérieur.

 

Je comprends leur joie quand ils rencontrent des algériens. Bien que nous ne venons pas du même monde, nous venons de de la même douleur.

 

 

Mamzelle Namous