Quand on évoque le nom Descartes à Alger, on ne pense pas «je pense donc je suis», on pense  au plus grand lycée d’Alger, d’Algérie, d’Afrique que dis-je! On pense tchitchi*, on repense à de Gaulle.

Parce qu’en son temps, le lycée Descartes abritait l’état-major français. Alors certains d’entre nous ont eu cours là où de Gaulle avait dormi, là où de Gaulle avait son bureau. C’était  l’immeuble du Splendide, un sublime ancien hôtel.  D’ailleurs, on pouvait sentir ses vibrations pendant les cours d’histoire, alors l’algérie un peu française, c’est une notion qui nous parlait.

 

 

Au petit nid (c’est une partie du lycée qui s’appelait vraiment petit nid), on raconte que les salles de cours étaient d’anciennes pièces de torture. On dit aussi qu’il y avait des passages souterrains qui menaient au centre d’Alger, et qu’une fois des lycéens s’y sont aventurés et sont tombés sur des instruments de torture. Ouh scary!

 

Bon, au quotidien, on ne  pensait pas à tout ça, la torture c’était entre nous!

 

A mon premier jour, et comme chaque nouveau qui débarquait, j’ai dû répondre à la même question une bonne centaine de  fois : qu’est-ce qu’il fait ton père?

C’est le truc le plus important à Descartes, le prestige de la profession de ton père. Plus tard, on a découvert que c’était le truc le plus important en Algérie tout court.

 

 

La deuxième  question récurrente à Descartes c’était : où c’est que t’habites? 

Cette question comporte uniquement quelques bonnes réponses : Hydra (l’équivalent de Beverly-hills chez les jeunes adolescents des années 90s, surnommée hydra-hills pour l’occasion).

Le golf, El-biar , Ben-ak ( oui parce qu’on ne dit pas ben aknoun, on dit ben-ak’ bébé), certains immeubles du centre-ville , une grande maison à Chéraga, un parc immobilier quelque part .

En dehors de  tout ça, point de salut pour toi.

Y avait toujours la solution d’inventer et de jamais inviter ses copines chez soi.

C’était les années 90, on savait pas encore qu’Alger allait s’étendre à l’infini.

 

 

Le troisième chose essentielle c’était à quoi tu ressemblais, comment tu te fringuais. Fallait avoir de la marque sur soi. Fallait des trucs qui venaient de France.

 

A 13 ans, à mon époque, la mode à nos petits yeux, c’était de porter des gros sweat-shirt avec une marque un peu racaille (mais ça on le savait pas) genre puma ou nike ou un truc de hard-rock ( trop cool bébé) , un jean levi’s et des tennis de marque.

 

A 14 ans on affinait un peu le tout, mais l’idée du truc de marque  était toujours là.

A 16 ans on tournait salope et on se faisait tripoter sur les  grands escaliers du golf. 

A 17 ans on ratait son bac et papa nous mettait dans une école privée. Si papa avait une profession qui le permettait bien sûr.

 

Le quatrième interrogation majeure  à Descartes était : francophone ou arabophone ?  C’était capital pour déterminer le degré de snobisme autorisé.

Entre les grilles  du lycée, le francophone était réputé  cool, l’arabophone était juste….. arabe.

Les deux clans se fréquentaient peu et se méprisaient mutuellement.

Les francophones se faisaient traiter de………… Chambourcy….. Comme la mouse au chocolat oui !  (Pour cause de francitude. Le genre d’insulte qui fait froid dans le dos), et répliquaient en  traitant  les arabophones de…….. Grelomat (cafaricide, le produit algérien par excellence.  Ca c’est de la répartie! )

 

Les francophones se prenaient pour des êtres exceptionnels car ils suivaient un programme qu’on ne retrouve nulle part au monde : des cours en français ( mais pas du tout le programme lycée français), et un cours d’arabe.

Ah le cours d’arabe!  Là encore le monde se divisait en deux catégories : le groupe faible et le groupe fort.

Le groupe faible était constitué à 5% de gens qui venaient de débarquer en Algérie ( algériens compris) et qui speakaient pas très bien notre langue. Et à 95% de gens qui avaient le niveau pour passer au groupe fort, mais qui préféraient se la couler douce chez les faibles, se taper des 18 et des dictées sur Selma qui va à la madrassa. Si vous étiez malins, vous pouviez rester cinq ans au groupe faible.

 

La prof d’arabe dispensait aussi des cours de tarbia islamia ( éducation religieuse), l’occasion d’apprendre quelques sourates par cœur et de doubler sa moyenne.

Car comme tous les algériens, on était les champions du parcoeurisme bête et discipliné.

 

On passait nos vies à rigoler, à éclater de rire,  à se plaindre des profs et des surveillants généraux, à trouver la vie ingrate, à porter la tragédie du monde sur nos épaules.  On a fait une manif quand ils ont voulu nous déloger du Splendide.

Quand on se faisait chier en classe, on simulait un mal et on allait à l’infirmerie. Peu importe le symptôme, c’était le même sirop pour tout le monde. Et la même cuillère aussi.

Dans le registre des dégeulasseries, la cantine s’en sortait pas mal : les tables se faisaient essuyer en même temps que le sol. Avec la même serpillère oui.

Enfin moi je dis ça, mais on me l’a raconté car j’allais pas à la cantine;  je rentrais manger dans mon immense villa de poirson-sur-seine bébé!

 

 

Malgré l’immense espace, on manquait d’air, on n’avait pas le droit d’aller partout, fallait filer en cachette dans les coins et recoins qui en mettaient plein la vue, et les stades de sport.

Les élèves partaient et venaient, alors l’attachement prenait des airs de sacré.

 

A part quelques singularités , c’était comme partout ailleurs je crois.

Y avait les figures star (les filles qu’on envie toutes, celles qui sortent avec les plus beaux mecs), les ringards, les chelou, les surnoms débiles, les envies de grandir vite et bien, les vraies et fausses histoires de drogue, le stress des compo chaque fin de trimestre, la terreur des parents à la venue du bulletin, les rêves d’ailleurs.

 

C’était très hétérogène. Dans les années 90, y avait plus trop d’étrangers, on s’est retrouvés entre algériens qui, pour une raison ou une autre, devaient suivre des cours en français.

Depuis quelques années, paraît que  le lycée se dégrade de plus en plus et les parents rechignent à y inscrire leurs gosses. Quand ils en ont les moyens, c’est direction école privée ou lycée français ( ah j’adore passer devant alexandre dumas à la sortie des classes,  c’est tout un cinéma!

Non non, je ne suis pas un vieux pervers qui aime mater les minettes)

 

On raconte aussi que Descartes va être pris par la présidence ou l’armée ( mais ça fait 20 ans qu’on entend ce genre de théories)

C’est dommage cette perte, cette jeune tchitchi inconséquente mérite un endroit à la hauteur  de  sa tchitchitude et sa dérision , avant d’oublier toutes ces conneries et d’entrer dans la véritablement vraie  réalité.

 

Bon allez j’arrête avec Descartes, je vais aller montrer ma nouvelle festina à mes amies de la charika watanya**  😉

 

 

 

Mamzelle Namous

 

 

Notion délicate à définir, on a tellement grandi avec qu’on visionne bien ce que c’est mais pour mettre des mots dessus, c’est une autre histoire !  J’ai regardé sur internet, ça parle de jeunesse dorée et de fils à papa. Alors qu’à mon sens,  c’est pas ça du tout  la tchitchi algéroise. C’est très divers, et  ce mot rigolo ( ça vient de faire des chichis?) couvre quelque chose de plutôt authentique. Quand je pense tchitchi, je pense années 80s, je pense à des jeunes gens stylés, classes, bien éduqués, francophones à mort.  De la classe moyenne, ou à l’aise, mais pas forcément  riches. Et certainement pas nouveau riche, comme j’ai pu le lire sur le net. C’est le contraire même!  Et pour vous c’est quoi? 

 

** Entreprise publique nationale étatique gouvernementale