Y a une dizaine de jours environ, je reçois un appel d’une amie journaliste qui me demande si elle peut donner mon numéro à une collègue. J’imagine que je vais faire la Une d’El Watan et je dis ouiiii bien sûr, ne me pose plus ce genre de questions, donne mon numéro à la presse entière. 

Le soir, alors que je n’ai reçu aucun appel, je demande à mon amie de quoi il s’agit.

Elle me dit  » je sais pas trop, je crois que c’est pour un dîner à l’ambassade des Etats-Unis, ils veulent inviter des blogueurs, elle va leur donner ton numéro« .

 

 

A partir de ce moment là, je n’ai plus fermé l’oeil. Un dîner à l’ambassade des Etats-Unis, plus chic y a pas.

En l’espace de trente secondes, j’ai réfléchi à chez quelle coiffeuse j’allais aller, et comment j’allais m’habiller.

J’ai visualisé ma silhouette, le pantalon que je voulais porter exigeait la perte de trois kilos. J’avais donc  besoin de temps.

Le reste de ma tenue incluait une virée au magasin mardi gras de sidi yaya.

 

Je n’étais pas prête, je n’avais reçu aucun appel téléphonique, mais je m’y voyais déjà :

Moi entrant à l’ambassade, moi discutant avec l’ambassadeur « oh you think that my blog iz amazing? Rrreally? thankk you, i love so much amerrica« .

Ouais j’ai un accent de merde. Et je vis dans une bulle enchantée où, bien évidemment, je serai assise à la table de l’ambassadeur et de son épouse.

Même les lumières je les ai imaginé.

 

Quelques jours plus tard, toujours aucun appel. Par prévision, je me suis mise au régime, et j’ai manqué de faire un emprunt bancaire.

Je suis allée chez mardi gras, y avait les escarpins que j’allais porter au dîner.  (Ceux que madame l’ambachadrice allait complimenter d’un  » oh they’re so pretty! »

Moi, éclatante de beauté : « They come frrom marrdi grras, in sidi yaya,  do you know sidi yaya? »

« Of course, who doesn’t!« .

Et là on aurait éclaté d’un rire gras et chic).

 

Donc,  je vois les escarpins, je les essaie, je jubile. Je demande le prix, par formalité.

Le vendeur tique un peu, il me dit que  » kayan moussa3da« . Merci, mais elles coûtent combien d’abord?

-Vous savez mademoiselle c’est une grande marque française.

(Z’avez remarqué comme tous les vendeurs adorent l’argument « c’est français« , ou encore mieux  » ça vient directement d’Italie« .)

 

Ouais ok mec, crache le morceau.

-60.000. 

 

Je tombe.

Bon ok c’est des Yves St Laurent, mais ça fait au moins deux ans que je les vois prendre la poussière dans ce magasin. Ca devrait pas être aussi cher.

 

-Bessah n3awnek mademoiselle, machi machkel. En plus jawek bien bezef. Wellah Kharjou 3lik.

( Ca coute 600 euros mais je vais te faire un prix ma biche, et pour bien t’arnaquer, je te dis que ces chaussures je ne veux les vendre qu’à toi tellement même ton ventre il est beau quand tu les portes).

 

Je demande si son offre de marchandage inclut, en préliminaire, une division du prix par deux. Parce que là, c’est pas possible. Mon père il est pas ambassadeur des Etats-Unis.

 

Je les enlève, avec toute la délicatesse qu’elles suggèrent et je remets mes chaussures pourries. Je me dis que je trouverai ailleurs, mais c’est un leurre.

 

Deux jours passent,  aucun appel, aucun kilo de perdu, et aucune chaussure à mon pied. Je commence à espérer que ce dîner soit en Avril, ça me laissera le temps de maigrir et de m’enrichir.

 

Je garde toujours mon téléphone à côté de moi pour ne rien rater, et au petit matin,  si je vois qu’un numéro  inconnu m’a appelé à 3h du mat, je rappelle, on ne sait jamais.

Même les bipeurs je les rappelle.

Bref, je suis une makhlou3a. ( je propose comme traduction excitée de la vie).

 

J’ai même dit à mon  grand frère qu’il devrait obligatoirement se libérer le jour du dîner pour faire mon chauffeur.  Il m’a demandé quand était prévu  le dîner. Je sais paaaaaaas.

Je lui raconte comment je me prépare, il se fout de ma gueule.

 

Le dernier week-end passe. Toujours pas d’appel, mais j’oublie pas.

 

 

Ce matin, je me dirige vers le boulot, je gambade, mon téléphone sonne, c’est mon grand-frère:  dis Mina, je suis en train de lire le journal, ton dîner c’était pas hier soir? Parce que y a un truc qui ressemble un peu à ce que tu m’as raconté. 


-Quoi???


– Hier, à la résidence de l’ambassade des Etats-Unis, Hillary Clinton, en visite à Alger, a rencontré des représentants de la société civile, triés sur le volet, parmi les jeunes activant dans les réseaux sociaux. 


-Noooooo rien à voir, c’est autre chose. 


-Non Mina je pense que c’est ça, blog/réseau social, c’est la même idée. En plus pile à l’endroit où ton dîner était prévu, ça peut être que ça.


-Mais pourquoi personne ne m’a appelé? Je suis pas assez triée sur le volet moi c’est ça??


-Mais non c’est pas grave, ils ont sûrement invité ceux qui causent politique…



La rue paisible dans laquelle je marchais se rappellera longtemps de mon  » PUTAIN DE MEEERDE ».

Je maudis toutes les fois où je n’ai pas parlé de ce putain de printemps arabe.

 

Je garde toutefois l’espoir que ce n’est pas de ce dîner-là qu’il s’agissait, parce que ça serait trop bête.

C’est peut-être deux choses différentes un dîner à l’ambassade des Etats-Unis avec des blogueurs algériens, et une réception à la résidence de l’ambassade des Etats-Unis avec des algériens qui s’activent dans les réseaux sociaux.

 

……

 

Non c’est la même chose putain.

Avec Hillary Clinton en plus.

Oui, je suis aussi une makhlou3a d’Hillary.

 

Bon, je vais aller  chez mardi gras, ça me remontera le moral.

 

 

 

Mamzelle Namous