lina_scheynius_diary_autumn2010_02

 

 

Si vous habitez Alger, vous ne pouvez pas les rater…..ces cortèges de voiture VIP qui bousculent tout sur leur passage, qui forcent les autres voitures à se rabattre les unes sur les autres, pour aller plus vite que la lumière.

Ce qui me fascine dans ces convois, ce sont les gardes du corps, ils gesticulent leur tête d’une façon tellement étrange que t’as juste envie de leur dire de se calmer. Qu’on s’en fout du mec qu’est dans la bagnole. On les aurait pris en pitié s’ils n’étaient pas aussi méprisants envers les automobilistes normaux que nous sommes. 

 

 Un jour qu’ils avaient  provoqué un accident, ils  ont dû s’arrêter une demi-minute pour vérifier que personne n’était mort. Ils ont de la bonté, faut pas croire.

J’étais avec une amie et on observait la scène. Du cortège est descendu un jeune homme très classieux. Un air de jeune premier, un peu arrogant dans sa façon de marcher, mais un peu gauche aussi. Alors que je me demandais qui c’était celui-là, mon amie m’a dit : Hada c’est le fils du ministre X….je l’ai déjà vu quelque part, c’est un copain au meilleur ami de mon cousin, kraw kif kif *

 

Il est ensuite remonté dans sa caisse, et je l’ai imaginé reporté à son père : c’est bon, tout va bien, aya nrouhou.
Me suis aussi imaginée plein d’autres choses, je me suis carrément glissée dans ses chaussures en fait (italiennes évidemment), et j’y ai passé la journée.

On va dire  qu’il s’appelle  Malik….et que je le déforme un peu.

 

 

« Bonjour, je m’appelle Malik, j’ai un prénom majestueux et un père ministre. Enfin, il l’a pas toujours été, mais c’est tout comme.
Je sais pas comment on fera quand il sera à la retraite, genre définitivement. On a tellement pris l’habitude des avantages du métier. Mais je crois qu’on perdra pas tout.

 

Mes parents voulaient que j’entre aussi dans la fonction publique, pour être tranquille et parce qu’il y a que ça de vrai dans ce bled. C’est pas faux. Mais j’ai raté le concours.
Je sais pas ce qui s’est passé. Apparemment j’ai obtenu 9.53 et y a eu une faille au niveau de la chaîne de pistonnage, quelqu’un a merdé. Ç’a étonné tout le monde, mais c’est comme ça, ça arrive parfois. J’ai pas voulu le repasser, pour pas plus humilier mon père.

 

Je fais du consulting pour une grosse boîte depuis quelque temps. C’est pas compliqué, ça occupe un peu, et ça me donne l’occasion de prendre des cafés avec des membres de ma famille.

 

La première fois que le paternel a été nommé ministre, on était tous contents. Des privilèges, une belle maison au bord de la mer, des voitures sécurisées. La seule qu’en a morflé un peu, c’était ma mère. Le téléphone arrêtait pas de sonner, et la maison ne désemplissait pas. Pendant les fêtes, on doit presque refuser du monde tellement les gens viennent nous voir.
Elle a jamais été dupe ma mère, mais elle est obligée de jouer le jeu. C’est fatigant, surtout arrivé à un certain âge. Heureusement qu’on a 36 femmes de ménage.

 

Ce qui me soûle aussi, c’est les gens qui vous disent : Oooooo chefna babak fe la télé **. J’ai envie de leur dire oui, et alors? Ok, c’était rigolo les premières fois, mais ensuite…..

 

J’ai commencé à avoir la haine le jour où un caricaturiste, que tous les algériens idolâtrent, a dessiné mon père en le tournant en dérision. C’était gratuit, débile, et méchant.
Ensuite, y a eu pas mal d’articles systématiquement négatifs dans la presse. J’en ai marre des journalistes de mes deux. Ils écrivent de la merde, ils racontent n’imp’, ils critiquent tout, et en plus de tout ça ils hurlent à la censure dès qu’un micro étranger pointe… Comme je le dis souvent, il n’y a pas de journalisme en Algérie, que des charlatans.

 

Moi, j’ai fait mes études à l’étranger, parce qu’en Algérie c’est pas ça. Mais je suis rentré après,  je préfère vivre à Alger et voyager quand je veux.
Je suis bien ici, j’ me sens libre, j’ai mon appart, mais je passe aussi du temps chez mes parents. Je discute beaucoup avec ma mère, j’aide un peu mon père dans ses affaires, je sors avec mes amis.
Enfin, j’en ai pas beaucoup. La plupart des mes amis de lycée n’ont pas vraiment évolué, j’arrive pas à avoir de vraies conversations intellectuelles avec eux. On a plus le même niveau, qu’est-ce que vous voulez que j’ vous dise.

 

De temps en temps je vais voir ma sœur à New-York, on a un appartement là-bas. C’est plus économique d’acheter que de louer, croyez moi ! Elle y apprend l’anglais depuis quatre ans.
Ma mère veut qu’elle rentre en Algérie pour qu’elle se marie avec le fils des Benboukhaloutaoui.

 

C’est à la fois simple et compliqué. Dans notre milieu (comme disent les parents), les mariages sont des alliances. Les Benboukhaloutaoui sont de très riches industriels, de père en fils en cousin, et l’association Fortune/Politique, c’est de la balle quoi. Mon père dit que c’est comme ça qu’on crée des cercles de pouvoir et qu’on fait marcher un pays.

 
Ma soeur est consciente de tout ça et elle connaît bien le gars en question, mais elle veut prendre son temps. Mais ma mère la presse un peu en lui disant qu’elle a quand même 27 ans et qu’on s’en rend pas compte mais dans trois ans elle aura 30 ans tout de même….

 

Sinon, pour en revenir à moi,  la plupart du temps, je picole beaucoup. Mon père aussi boit, mais on boit jamais ensemble. Question de respect par principe.

Quand je suis trop torché, je me fais escorter par des gars des services, histoire que les flics m’emmerdent pas.
Je fais ça parce que j’ai eu un problème une fois à un barrage de police. Alco-test, commissariat, urine. Je crois que mon père a arrêté la procédure au niveau de la police scientifique. Je sais pas s’il a payé ou rendu un service.
Ca m’a fait chier, parce que quand les deux cas, il est redevable à quelqu’un et il en a marre qu’on lui demande des interventions pour telle ou telle connerie.
Ca fait cher la cuite.

 

Je le vois moi-même, au boulot, les gens vous demandent d’intervenir pour n’importe quoi, même quand y a pas besoin.
Je les regarde me raconter leur problème du jour, le billet Air Algérie qu’ils ne peuvent pas modifier parce que billet promotionnel (fallait pas être radin au moment de l’achat mec!), le logement qu’ils attendent depuis 10 ans, le fils qu’a pas eu la moyenne pour faire médecine ou l’INC, le permis retiré,  le médicament qu’ils doivent se procurer d’urgence par valise diplomatique, les délais de livraison trop longs de SOVAC…..bla bla bla.  J’ suis pas Dieu moi.

 

Je les écoute, mais de loin.  Je suis déjà  en train de penser à la connasse que je vais ramener chez moi ce soir. A cette nana qui va passer la porte et  s’écrier « Aaaaa j’adooore ton appart!!», qui va me dire qu’elle veut pas boire beaucoup  mais qui finira la bouteille.
Qui dira « non, non, pas ce soir, j suis pas prête », mais qui  le sera finalement cinq minutes après. ( Même les dépucelées ont besoin d’être prêtes pour  coucher, va comprendre quelque chose).
Qui voudra pas le faire sans capote mais se ravisera d’elle-même après quelques secondes,  en ajoutant « mais tu fais attention hein?»
Enfin, ça c’est les gentilles.

 

Parce qu’il y a la catégorie salopes, celle qui disent rien et qui t’appellent chéri. Trois semaines après, tu reçois la  fameuse liste de textos: Pourquoi tu réponds pas? Faut qu’on parle! Je crois que rani enceinte.
La plupart du temps, elles sont tellement coconnes qu’elles calculent mal les probabilités. Alors je leur dis : ok, pas de souci, je t’accompagne demain chez le gynéco.
Elles ferment leur gueule  et après deux jours:  j’ai eu mes règles finalement, c’était  le stress. Ouf!
Certaines veulent juste 30.000 dinars, et d’autres visent le jackpot : me marier.
C’est touchant cette naïveté. Surtout que dès le départ, je préviens que j’ai déjà une fiancée.

Elle termine son école de commerce à Nice cette année. Nos mères voudraient bien que ça se fasse l’an prochain, pour être tranquilles. J’ai pas encore compris cette notion de tranquillité…

 

Moi pour l’instant, je veux pas me projeter, je vis le présent et j’espère qu’il continuera. Je fais comme si demain n’existait pas vraiment, c’est mon père qui m’a appris ça. »

 

 

 

Mamzelle Namous, dans la peau presque douce d’un mec presque doux. 

 

 


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*ils étaient dans la même école avant avant.
** on a vu ton papounet à la télé, oh la la!