@aid

 

Pour notre plus grand plaisir, ça commence à sentir le mouton dans les rues. Le pauv’ petit mouton pris entre les filets, qui cherche à s’enfuir, qui sait bien ce qui l’attend. Qui augmente son prix chaque année dans l’espoir qu’on l’achète pas, mais qui subit quand même le sort de la pute de luxe.

Pas assez cher pour toi.

 

Des voisins ont lancé un appel au boycott : tant que ça sera aussi ridiculement cher, faut pas céder à l’achat. Les vendeurs profitent du devoir religieux, les gens se sentent obligés, y en a qui s’endettent, alors y’en a qu’ont décidé de pas s’entêter.

Et puis l’Aid c’est comme les anniversaires, on se sent pas de les fêter en grande pompe chaque année.

 

Quand on était gosses, et qu’on le fêtait avec la grande famille, notre seule envie c’était de libérer le mouton, et de le rendre à sa place: dans un champ verdoyant infini, entrecoupé d’arcs-en-ciel.

Mais on pouvait pas, alors on observait le « sacrifice » du coin des yeux, mi-fascinés, mi-dégoûtés, et on morflait de l’odeur.

 

Ados, on se la jouait rebelles en s’enfermant dans la chambre, parce que beurk ça puuuuuuuue! Et puis ça porte atteinte à la dignité de l’animal attends, vous êtes des sauvages, bande d’arabes. 

Ouais, quand on est ado (et donc très très con), on croit tellement qu’on ressemble pas aux autres qu’on se croit américain.

 

Mais la plupart des années, on était en petite famille, on achetait de la viande et on faisait un mini-barbecue avec des frites et de la mayo maison. La vraie tradition quoi.

 

Et  puis ensuite, une fois que l’Aid ne correspond plus à l’acquisition de nouvelles fringues, de don d’argent et de bonbons, on s’en fout un peu parfois.

Ca fait des longs week-end quand ça tombe bien, ça calcule avec les ponts, ça fait que les gens s’appellent beaucoup trop, et que de retour au taff, tout le monde veut te taper la bise et te demander avec sincérité et profondeur « 3ayadtou bien? la famille ça va? ». Même les gens qui t’aiment pas trop, ça les intéresse.

Au travail,  y a des gens qui font le tour de chaque bureau pour souhaiter « saha aidek »  à des personnes connues et inconnues.  Une tâche colossale quand l’entreprise est grande. Et c’est à la fois bizarre et touchant, parce que certains y croient vraiment à leur vœu.

Alors que toi, à part si t’es amoureuse, aimée et parfaitement heureuse (la simultanéité de ces événements se produisant une fois tous les 10 ans), t’as aucune envie d’aller distribuer de l’amour, du vrai, à des gens que tu connais pas ou dont la gueule te revient pas.

 

En somme, t’as l’impression de ne pas être touchée par la grâce les jours où il le faut. Tu t’en inquiètes un peu parfois, t’as pas envie d’être une connasse blasée au ressenti amer.

Mais on t’as appris que la grâce c’était pas quelque chose de  prévisible qui allait venir à toi à des moments fixés et que tu pourrais partager avec tout le monde.

Non, on t’as appris que la grâce c’était un truc imprévisible, irrésistible et indépendant de la volonté. Qui lance des pulsations au milieu des trachées et qu’on peut pas maîtriser bien comme il  le faut.

Ta grâce choisit pour toi à qui elle s’adressera. Et pour ceux qu’ont en un peu en eux, ça sera écrit sur ton front.

 

Pour les jours et les mois et les années à venir, je souhaite qu’on se partage encore beaucoup beaucoup de choses, avec grâce, avec grâce, avec grâce.

 

 

 

Mamzelle Namous