Vendredi, jour du seigneur.

Ce jour où tout est fermé plusieures heures pour cause de prière. La dernière fois que t’as prié t’avais 15 ans et c’était la veille de tes compos, mais tu te souviens pas que ça durait aussi longtemps. C’est à cause des prêches qui vont avec. Dans ton quartier y a un commercant qui fait le rebelle et qui ferme que 10 minutes, le temps de la prière. Tout le reste c’est de la politique, il dit à ses clients. Tout le monde le trouve bien léger mais aussi bien serviable.
En attendant le déjeuner, tu t’installes devant la télé. Y a des gens intelligents qui parlent de Strauss-Khan, et t’essayes de retenir par coeur les phrases d’une belle blonde philosophe, pour les ressortir plus tard. Elle dit que cette histoire nous a emprisonné, et un tas d’autres choses profondes.

J’ai bien essayé de les replacer après avec mes parents, mais les mots sortaient pas de la même façon. Sur elle c’était du genre  » La portée médiatique de cette affaire nous a contraint à nous plonger dans une indécence, d’une portée quasiment métaphyisque, nous a étalé la vulagrité de la vie publique et alors que lui dort dans une prison dorée, nos sens sont vautrés et nos pensées enchaînées« .

Sur moi, ça donnait « L’affaire strauss-khan bezaf ! ».*

Les deux se valent mais crédibité intellectuelle zéro. J’ai tenté de me racheter avec l’histoire de la bactérie tueuse dans les légumes, en disant  » J’avais raison de jamais manger de légumes, hi hi hi! « .  Mes goûts d’enfants confortés, leur regard apitoyé.
Pendant que je parle comme si j’étais une blonde (et non plus LA blonde), ma mère veut que j’écoute l’Imam à la télé. Il dit parfois des choses sensées d’après elle. Mais je m’endors en me disant que jamais je ne  laisserais mes chaussures à l’entrée d’une mosquée. Ca me rappelle la seule fois où je suis entrée en pareil lieu et que le type nous avait lavé le visage avec de l’eau bénite et que j’avais pensé ensuite que c’était le meilleur démaquillant au monde. Depuis je collectionne les flacons d’eau de bir zem zem** et ma peau est éclatante de santé. Peut-être que ça se voit aussi de l’intérieur et que c’est comme une prière en somme.

 

Ma mère me redemande pourquoi je ne fais pas la prière. Je lui réponds qu’il me manque le temps où les gens commençaient à flipper et à prier à  45 ans, allaient à la Mecque à 70 ans, n’en revenaient parfois jamais. Soit ils  crevaient étouffés par les prières des autres, soit ils devenaient marchands d’or.
Aujourd’hui le gars de 25  ans rêve d’y aller, parle en plaçant des références à Dieu toutes les cinq minutes, fait un crédit sur 10 ans pour acheter un mouton, envisage d’arrêter de boire un jour et prétend vendre du rêve . Tout fout le camp.

Regard affolé de ma mère.

Vendredi, nuit du seigneur, beaucoup de restos sont fermés. Le choix est donc limité et tu files chez l’indien de Cheraga avec tes potes. La Mecque de l’arnaque. De la bouteille d’eau d’ifri qu’on t’impose, du bol de riz tellement hors de prix que tu te dis qu’il  est sûrement béni d’un dieu indou, des deux morceaux de poulet qui se battent en duel dans un bain marron-jauni qui ressemble vaguement à du curry. A la fin tu te demandes si la table à côté vient pas de se faire servir le reste de ta sauce.
 A la libération, le mauvais goût se paie cher.
Tes amis veulent aller en boite mais tout le monde a la turista. Chacun dans ses chiottes pense au lendemain qui l’attend. Le samedi où tu dois régler toutes les choses matérielles de ta vie. Moi je vais aller à ma banque juste pour faire semblant qu’il se passe quelques chose sur mon compte.

 Le samedi où tu maudis le mec, qui y a 2 ans a bougé le  week-end jeudi/vendredi. Tout ça pour être à l’heure internationale. Fallait peut-être y penser en 62 à l’international.  Tout fout le camp.

Après bénédictions et malédictions, tu vas à la mairie retirer un papier hyper important pour faire un autre papier qui te permettra de t’inscrire à la piscine municipale. La mairie n’est pas équipée d’ordi, elle marche aux registres ( gros grands cahiers, souvenez vous), grosses chaises en cuir dignes des réunions FLN (souvenez vous, c’était y a pas si longtemps), la machine administrative est si lente que je crois qu’on a remonté le temps. 62 est encore là, rien n’a pas foutu le camp.

Prions pour ce pays. Nos âmes peuvent attendre.

Mamzelle Namous

*C’est trop
**Eau sacrée, bénite,  de la Mecque