Alors toute à l’heure je parlais au téléphone avec ma sœur, qu’est partie loin. Elle marchait dans une grande et belle avenue, café caramélisé starbucks à la main, elle gambadait, heureuse et ensoleillée.

Elle me dit «  Et toi tu fais quoi ? ». Moi ma chérie je marche dans les rues du quartier, je vais m’acheter à manger. Tu veux entendre ma commande, ça va te faire rêver : Bonjour, complet poulet sans salade s’il vous plait, hrissa-mayonnaise oui, merci .
Ca te donne pas envie de revenir à Alger ? Nos matins sont légèrement frisquets, je prends un foulard d’automne avec moi. La journée, peu à peu, devient moite et chaude. L’humidité ravage nos cheveux et nos teints.
Il y a de l’humidité là où tu es ?
« Non non mes cheveux tiennent bien ». La boucle, meilleure indice du taux d’humidité.
Je lui dis que notre mère m’a harcelé pour qu’on installe Skype, et ce fut chose faite la veille. Qu’on l’a attendu mais qu’elle ne s’est pas connectée. Que maman n’a pas voulu me laisser aller dormir , qu’elle a voulu garder l’ordi, qu’il a fallu lui montrer comment ça marchait Skype. Comment ça marche Windows aussi.
« Ah oui hier soir je suis allée au ciné. Ensuite dans un resto super bon, y avait un acteur américain hyper connu mais je connais pas son nom. Tu sais celui avec les cheveux gris ».
Aaaaaaaaaaaaaaaaa ijzeBdebzebfbzfiezabfhzbfz Georges Clooney ? bkdezdegbuedg éyuegé ue Richard Gere? hkedhzihdezgezigdzeiu Robert Redford ?jlkzjzoemhmferzhfm!izjfzmfz!mémkremk!!!!!
« Je sais plus,  passons ».
Je t’envoie des photos d’acteurs toute à l’heure et tu me diras si tu le reconnais. Comme ils font dans les films avec les suspects.
« C’est bon Mina, t’as pas de vie ou quoi ? »
Bien sur que j’ai pas de vie, mon meilleur ami est le tenancier du fast food.
Je lui demande si elle compte venir à Alger pour ses vacances en novembre. Ca coïncide avec la fête du mouton, et ça serait bien qu’on se retrouve tous.
« Euh… »
Je joue la sentimentale, je lui rappelle l’aïd de l’an dernier. On avait un joli petit mouton, qu’on avait appelé Georges mon mouton. Sa peau ressemblait à nos boucles, et chaque jour on le vaporisait de parfum. Un mouton c’est moche et ça pue, mais on s’y attache.
Dans un scénario européen, on aurait tout fait pour sauver Georges mon mouton de la mort, mais l’algérien, après une demi-douzaine d’aïd, autant de moutons, devient blasé de la tendresse moutonnière.
Ainsi va la vie.
Alors le jour fatal, on a filmé. On a eu la chance d’avoir un vétérinaire en guise de debah (abatteur) qui nous a tout expliqué, qui nous a fait participer, et qu’à la fin on a voulu draguer.
Mais il avait des mains pleines de sang, nous des gandoura ( robes de maison) et ma mère se plaignait que le foie de Georges mon mouton soit trop petit.
On a donc évité le coup du « Je fais une étude sur les vétérinaires algériens de moins de 35 ans, j’aimerais beaucoup avoir ton témoignage de professionnel, tu peux peut-être me laisser ton numéro ? Ah t’es chez mobilis, c’est super, moi aussi ! »

On a raccroché en rigolant, et en attendant mon sandwich, j’ai eu  une énième discussion avec une inconnue sur « L’Algérie ».
On a tous eu cette conversation. Ca commence gentiment, et ça inclut souvent  » L’Algérie rahet fiha, ya hassra, djazair bekri ». Même si les interlocuteurs ont 25 ans.
Ca tourne autour de « on ne vit plus », »on ne sort plus », « L’Algérie c’est devenu n’importe quoi » , » Y a nulle part où aller »,  » On étouffe ».
« La circulatiiiiiiiiiiioooooooooooooon ».
Y a des périodes d’ailleurs où je ne peux plus parler d’autre chose que de la circulation.
Et même la circulation « c’est voulu! »
Ca va vers autrui : « Les gens ne respectent plus rien » , « ness heblou ».
Et à un moment, l’une des deux personnes dit quelque chose qui va faire sourciller l’autre. Aujourd’hui, j’ai sorti   » Et vous avez vu, ILS ferment les bars et les débits d’alcool« .
Silence gêné de l’inconnue. Je me sens obligée d’ajouter  » Non mais même si on les fréquente pas, ça nous concerne tous ». 
Blanc………………………
« Non mais c’est par principe ». 
Blanc qui lave plus blanc………………………………..
« Non mais c’est une question de liberté. Aujourd’hui c’est les bars, demain ça sera les chocolateries. Ou les fast food tiens ». 
Mon complet poulet sonne le glas de cette descente aux enfers.
Je sors de là, j’envoie un texto à ma soeur  » Ne viens pas pour l’aïd, c’est moi qui viens, bisou ».
Mamzelle Namous