Un samedi, c’est un jour que t’as pas encore compris. C’est le week-end mais pas vraiment.

 Tu te réveilles avec le bruit des travaux des voisins, ils sont en train de construire un château sous ta fenêtre, et tu les regardes. Ta mère-grand est allée vérifier le permis de construire. R+2. La semaine dernière, ils ont entamé le troisième étage et paraît que c’est pas fini.
Ta mère-grand pense à aller se plaindre à la mairie, pour cause de vol illégal de soleil. Mais à la mairie, ils sont pas encore dotés du service « réclamations ». Enfin si, mais pour déposer un dossier, il te faut l’extrait de l’acte de naissance de ton futur petit fils, et tu le retrouves pas.
Alors , ta mère-grand, elle a dit  » On va prendre une photo et l’envoyer aux journaux ».
Elle vit dans sa bulle. Le voisin dans son monde. Toi dans le bruit, et bientôt dans l’obscurité.

 Le samedi, tu le continues dans un état proche de la déprime. Tu passes ta journée à répéter « daket rouhi ». Qui veut dire « c’est étroit à l’intérieur de moi ». Tu te plains à ton mec, il sait pas quoi te dire, tu raccroches.
 T’as bien envie de sortir, mais tu sais pas où. Une  copine te propose l’aroma café, t’aimes pas trop mais t’y vas. C’est fermé, t’es à pied, y a nulle part où aller dans le quartier. T’as pas envie de te taper la route que tu fais déjà toute la semaine.  Tu finis dans une pizzeria, à faire comprendre au serveur que tu veux pas de pizza, juste un chocolat chaud.
 Ta copine, c’est une journaliste qui écrit aussi des livres et qui fait des films. Elle recèle d’histoires intellectuelles. Vous avez déjà voyagé ensemble, et vous pourriez passer des heures (enfin une heure) à parler de littérature soviétique et de guerre des diamants en Afrique Noire.
 Mais vous parlez que de garçons, et vos aventures se ressemblent. Ca vous passionne.
A côté de vous, deux jeunes filles parlent de garçons aussi, de textos bizarres, de messages ambigus, vous vous moquez d’elles.
 Vous décidez de rentrer à la maison à pied, à discutailler entre filles, vous longez une espèce de parc, c’est joli, mais vous marchez étrangement. Vous avez peur qu’un type vous colle la main aux fesses. Parce que ça vous est déjà arrivé quatre fois en 15 ans, alors maintenant quand vous marchez, vous guettez les mains des autres et la position de vos fesses. Vous tirez sur le bas de  votre gilet, mais ça sert à rien.  C’est jamais les jeans tailles basse collé serré qui roucoulent du cul  qui se font choper.
 Quand tu retournes chez toi, le samedi après-midi te replonge dans l’ambiance  écolière, à la veille du début de semaine. Les devoirs à faire, les leçons d’histoire à apprendre, la flemme, l’ambiance morne de la maison, le rien à la télé, le rien à manger. Et les parents qui ressassent d’aller travailler.
 Alors que là t’as  rien à faire, à part attendre  le temps passer. Ton frère est en pleine négociation avec les parents pour le nombre d’invités à son mariage. Quand certains noms fusent, les voix montent très vite.
En Algérie ce sont les parents qui se marient, les intéressés sont des invités comme les autres.
 Je trouve une photo de travail de mon père, à la sortie d’une conférence, avec tous ses collègues, et je la montre à mon frère en lui disant  » voilà à quoi va ressembler ton album de mariage mon chou ».
Ca le fait pas rire.
Comme tout le monde, il a toujours répété que son mariage serait intime et lui ressemblerait.
Comme tout le monde, il cèdera et distribuera des sourires figés à une centaine d’inconnus et fera des gesticulations devant un photographe bizarroïde.
 Le samedi soir, moi je vais me coucher avec un film français, le genre de Claude Chabrol , pour rester dans l’ambiance, et donner de la consistance à mon ennui.
 Alors quand la semaine commence, je m’ennuie toujours,  mais j’en fais tout un cinéma français.  Je prends la gestuelle d’Isabelle Huppert,  je me teins les cheveux au henné, je marche au ralentis, je file gentiment  mes collants en coton,  je mets trop de mascara et je joue le vide, en en faisant un paquet.
Je vais manger seule, je m’arrête dans l’une des plus belles bijouteries pour mater les diamants. Le vendeur me présente le modèle « Kate ». Très à la mode en Algérie.  Je demande  » Moss? » , d’un ton timbre. « Non, la princesse« .
« Ah trop cliché pour moi…. »
Je hausse le sourcil quand il me présente le prix, alors que ma tête hurle  » whaaaaaaaaaaaat », je sors de là.
Je voudrais marcher en regardant les  merveilleux nuages, mais je me souviens que j’ai peur de la main aux fesses.
Alors je marche vite, je traverse de l’autre coté quand il n’y a plus de trottoir, je refais ça plusieurs fois. C’est éprouvant.
Un type en voiture me crie  » wesh orangina!!« . Je comprends pas. Je rentre à la maison, ma mère me dit que mes cheveux ont étrangement viré orange. Qu’il faut arrêter de faire le  henné comme ça, toute seule n’importe comment.
 Je décide d’arrêter les films français. Jusqu’au samedi soir.  Et je me tape la belle gueule de Louis Garrel. Ensuite je cherche à Alger un homme comme lui, je trouve pas, je vire rouge, je bois de l’orangina,  et les autres choses manquent……..
Mamzelle Namous