america in short

 

 

 

 

Alors qu’on s’est bien marrés amer avec le peignoir de Boutef, et que l’Algérie se divise entre ceux à qui il fait de la peine et ceux qu’ont de la peine pour eux-mêmes, on va causer enfance ici.
L’autre fois, j’étais à la plage, et y avait une jeune maman avec ses deux petits gosses. Un garçon et une fille, les deux portaient la culotte.

Ils étaient adorables, ça va sans dire. Ils couraient partout, souriants mais timides, frémissaient dans l’eau glacée et se moquaient des adultes surpris par le froid.

Ils criaient «  mamaaaaaaa on a faim », et la mère était tour à tour patiente et sévère.

Evidemment, ça m’a donné envie d’être enfant. De revenir à ces précieux étés, où, avec sœurs, frères, cousins, cousines, on était dans cette joie là, et dans ce rapport si heureux avec nos mères.

On adorait  que nos momans viennent jouer avec nous dans l’eau, quand leur peau, pleine de crème solaire, se mouillait et offrait une infinie douceur et un infini parfum. ( Je sonne comme une pub, j’en suis consciente!)

Après l’eau, c’était la poire sur le sable,  les genoux et les bras de la mère sous le parasol, les discussions interminables sur les membres absents de la famille.

Mon goût pour le commérage vient de là, j’en suis sûre.

 

Quelques années plus tard, même plage, mêmes cousines, mais perspective différente: notre cauchemar était que nos mamans viennent avec nous à la plage.

Chaque matin dans la maison, on guettait, depuis une petite fenêtre, si le drapeau lointain était vert, rouge ou orange. Je sais pas pourquoi on y accordait tant d’importance puisqu’on irait de toute façon.

On annonçait qu’on descendait à la plage et on vivait dans la peur que l’une des mères dise « attendez je viens avec vous ».

Parce que cette phrase égalait à : attendez je viens vous surveiller bande de petites connasses et vous gâcher la vie. 

 

Dieu merci, ça arrivait rarement, puisque les grandes personnes préfèrent attendre le coucher de soleil pour s’exposer. On pouvait donc faire nos conneries, qui n’en étaient pas, et s’offrir une mauvaise réputation ( enfin c’est ce qu’on voulait croire).

 

Chaque été était meilleur que le précédent, et comme 99% de la population, on a construit des souvenirs qui font de ces vacances d’ado les meilleurs de nos vies.

 

Des années de flottement plus tard, le plaisir d’aller à la plage avec ma mère est revenu.

Alors des fois on y va, avec ses sœurs. C’est plus vraiment la même plage,  l’eau est loin d’être sublime, les gens te donnent envie de les tuer, mais le plaisir de l’enfance est resté intact. Comme s’il avait été enfermé dans une boite pendant longtemps et qu’on l’avait retrouvé, pur.

Les mêmes sensations de peau, la marque de crème solaire n’ayant pas changé. Ma mère et mes tantes ont gardé le même dos, fin, bardé de tâches de rousseur et de tâches de joliesse (j’en ai pas hérité de ça bien sur). Elles se drapent dans des paréos, ont les mêmes mots et les mêmes gestes qu’il y a 20 ans.

 

Mais un peu de tristesse en plus dans le regard,  face à un décor qui ne leur appartient plus.

Un décor moche, détaché de tout, sans sens.

Je les ai beaucoup regardé et j’ai pensé à plein de choses incongrues. A cette théorie de l’impossibilité d’être heureux quand on ne se reconnaît plus dans rien. De la fuite d’identité qui suivrait la perte de repères.

J’ai pensé à ces villes sans présent. Perpétuellement dans des projets d’avenir moches ou avortés ou laissées en plan, et dans des vieilleries.

On dit souvent que dans ces villes, le temps s’est arrêté, mais ça me paraît pas la construction la plus juste. On dirait juste que rien n’est dans le présent.

 

Un tas de pensées décousues m’a traversé pendant que j’observais les jolis dos de ces trois femmes, posées là. J’ai envie de dire qu’une grande part de l’identité vient de l’anticipation de leur tristesse, mais ça serait une phrase compliquée et inconséquente.

 

C’est une histoire de mioches qui courent et qui courent, d’années qui font des tours, de villes qui tournent en rond, de vies un peu gâchées qui en valaient pourtant la peine.

 

 

 

Mamzelle Namous