Nesrine aurait eu 30 ans le 18 mai. Elle aurait sûrement aimé l’arrivée de cet âge, qui dédramatise tout. 30 c’est marrant, c’est neuf, c’est rond. Elle aurait probablement voulu le fêter, mais se serait mal organisée. On aurait fini par se retrouver et on aurait parlé d’amours et de toujours.
Peut-être aurions nous parlé de Pierre, sa nouvelle « cible » amoureuse. Il est arrivé à Alger il y a quelques années et elle l’a aimé quasiment tout de suite. Quand il sourit, quand il la regarde, elle fond. On attendait patiemment qu’il se sépare de sa copine, et dans cette attente, on élaborait des stratagèmes pour l’évincer, cette pute.
La dernière fois qu’on a croisé Pierre ensemble , c’était dans une cour ensoleillée. Le bleu tapait très fort, et on se disait « il faut regarder le ciel, pas le soleil ». Alors qu’on avait le nez levé et le front aveuglé, Pierre est passé. Il a souri de son sourire à faire fondre, j’ai émis un ridicule « ah salut » , et Nesrine n’a rien pu dire, elle a juste souri aussi je crois.
Elle avait 27 ans, l’âge de sa copine à lui. Les mêmes cheveux longs et bruns, la même carrière dans le journalisme. Elle la connaissait un peu. Une fille sympa, sans plus, insignifiante.
On aime bien dire ça des filles dont on désire le mec. Elle casse pas trois pattes à un canard. Comme si nous on les cassait ces trois pattes à ce canard.
Un soir, ils se sont retrouvés seuls dans un restaurant, Pierre et Nesrine, les gens étaient partis , et eux sont restés à siroter. Ils se sont un peu tournés autour, je ne sais plus s’ils se sont fait un bisou. Ca n’a pas vraiment d’importance.
Le lendemain, elle m’a appelé en me disant que c’était l’une des meilleures soirées de sa vie, mais qu’elle en était rentrée un peu mélancolique, car il lui échappait. Mais c’était beau de vivre cet instant, et elle l’avait apprécié, et continuait de l’apprécier pleinement, en le perpétuant dans sa tête.
Pierre, pierre , pierre.
Son prénom, exotique à Alger, sonnait comme une petite poésie. Il sortait parfois au milieu d’un silence, dans un soupir ou une joie, prononcée de façon prolongée, comme un appel.
Pierre était dans nos vies, mais nous n’étions pas, ou si peu, dans la sienne. Comme à l’adolescence.
Mais on se trompait, il nous aimait bien. Il disait de Nesrine qu’elle était « son algéroise préférée », et la prenait dans ses bras lorsqu’ils se croisaient.
Il paraît qu’il y avait de l’eau dans le gaz avec sa copine, mais il était trop élégant pour en parler.
Durant les mois où Nesrine était malade, il prenait souvent de ses nouvelles, il voulait aller la voir, mais elle ne voulait pas. Il était inquiet. Un jour, alors que j’étais en voiture, je l’ai vu marcher seul dans la rue, dans la partie supérieure de Sidi yaya, juste avant la pharmacie, il m’a semblé qu’il parlait seul. Il avait l’air triste, et je suis sûre qu’il pensait à elle. Qu’il pensait à son envie de l’aider, son impuissance, au manque, au désir d’arrêter le temps, de déplacer des montagnes, et à l’impossibilité.
Il était tête baissée, il ne souriait pas, aucune fille ne fondait sur son passage. Et moi je me suis fondue de désespoir.
Pourtant, durant les semaines et mois qui ont précédé la mort de Nesrine, j’étais persuadée qu’elle ne mourrait pas. Des amis me l’avaient dit, que c’était très grave, qu’elle était condamnée, mais je rejetais ça en vrac. Ce n’était pas possible. Je crois que j’avais même écrit à Pierre que certaines personnes disaient cela, mais que je ne le croyais pas.
Je lui ai parlé le soir de sa mort, il ne savait pas quoi dire. Il était à l’étranger , des secondes de silence nous ont traversé. Il est venu pour le « troisième jour », s’est présenté à ses parents. Son sourire triste a rencontré celui de son père.
Des filles que je ne connaissais pas ont chuchoté dans la cuisine « c’est qui? ».
-C’est Pierre.
Il est resté un peu, puis est ressorti. Je l’ai vu descendre les escaliers, lui qui n’était jamais venu chez elle quand elle était là. C’était surréaliste. J’aurais voulu lui raconter ça à elle. Pierre était chez toi, il a vu ta chambre, tes photos, tes DVD, tes livres, ce tableau accroché, il a demandé de qui c’était, il a dit que c’était sublime. Il s’est arrêté devant ton appareil photo vintage, il a souri. Oui de ce sourire-là, mais avec un peu de tristesse sur les lèvres. Il était beau quand même oui, toujours.
Il a senti l’odeur des sacs en cuir dans ta chambre.
Sa copine? Cette pute n’est pas venue non. Qu’elle crève. Oups, pardon.
J’ai revu Pierre il y a quelques semaines, à Paris. Il a quitté Alger l’an dernier, il n’a pas renouvelé son contrat, et hormis le ciel, rien ne le retenait. J’ai compris que la pute était out of the picture, il a fait une ou deux allusions sur le fait que ça ne s’était pas bien passé avec elle. ( j’ai rigolé en m’imaginant raconter cette anecdote à Nesrine).
On a parlé de Nesrine, il a demandé des nouvelles de ses parents, de sa soeur, de son frère. Je n’en ai plus beaucoup. Un court silence est passé, et il a prononcé « ah nesrine », comme une prière.
Mamzelle Namous
Mya
le 17 mai 2017 à 21 h 49 minBcp d’émotions … lah yerhamha et ysseberkoum
Anissa
le 18 mai 2017 à 6 h 29 minAh namoussa ! Je pleure 😢
Paix à son âme
Gasper
le 18 mai 2017 à 14 h 11 minBonne quand t’es nostalgique…
Fantôme
le 21 mai 2017 à 14 h 10 minC’était un peu maladroit de parler de la « pute ». Elle aurait courtoisement souri à cette petite maladresse. Mais ce n’est pas bien méchant.
Finalement, la vie fait plus peur que la mort! L’amertume et le regret des ratées, de ce qui aurait pu se passer, si l’on avait été plus libres, plus fonceurs, plus intrépides, plus insouciants, moins penseurs, moins compliqués…
Ce n’est qu’en croisant la mort, que nous nous rendons compte de l’erreur…de la grande supercherie socioculturelle: la grande oppression de son amour propre et de l’opinion de l’autre sur notre façon d’épouser le temps et la vie telle qu’ils se présentent.
Le meilleur hommage que tu peux lui rendre est de mieux vivre. Au lieu de vivre le chagrin par son souvenir, laisse-la vivre le bonheur par ton biais.
Moh Alger
le 22 mai 2017 à 13 h 18 minBonjour , je suis de retours …..
quand on s’appelle pierre , on est beau , on a un sourire , … bref on est aimé
mais quand on s’appelle Mohamed , on est trop banal , trop ordinaire , …. bref khobz eddar yaklou el barrani !!!!!
kiffan le bary
le 24 mai 2017 à 12 h 26 min@Moh Alger,parce-que Josephine wach derti fiya tu craches dessus!!!!
Moh Alger
le 25 mai 2017 à 12 h 16 min@kiffan le bary
hahahaha walah ghir fakartni fi josephine ,
nkoulek hadja ??? nediha gawrya contra aalik !!!!! hahahah
j’ai un faible pour les étrangères manekdebch !!!!
blueinkal
le 28 mai 2017 à 13 h 32 minEncore un magnifique texte…
madani
le 1 août 2017 à 22 h 55 minC’est intelligent d’avoir rendu hommage à cette personne à travers une élégie. J’ai vécu à Alger il y’a quelques années pour y travailler comme expatrié. J’ai eu la chance d’y nouer des amitiés sincères et hélas, dans le même temps , j’ai endurer des actes de jalousies et de malveillances. Une expérience humaine forte en somme. Alger c’est une belle rose, une rose qui sent bon mais une rose pleine d’épine. Elle est belle mais qu’est-ce qu’elle fait mal!
Hindi
le 20 octobre 2017 à 10 h 23 minBonjour,
Je découvre à l’instant votre blog. Dommage qu’il soit silencieux…Que se passe-il ?
yasmine
le 31 octobre 2017 à 14 h 14 minya jeddak ddrtili el 9onta !!! mon Dieu que j’adore et je hais ce passage ..
v2s
le 28 novembre 2017 à 14 h 18 minBonjour mina, je ne sais pas comment tu réussis ce tour de magie.
Tu écris des phrases, quelques mots à peine, et moi je vois des scènes de film. Des scènes qui durent longtemps, avec des personnages qui parlent, chuchotent, sourient … Des silences et puis un fondu enchainé et, finalement le souvenir de ces scènes, qui n’arrivent pas à s’évanouir.
Je redresse la tête de mon PC, j’ai les yeux humides, et je croise le regard de ma femme qui me dit :
« Qu’est-ce que tu lis ? Tu pleures ? tu ne devrais pas lire des choses qui te fond pleurer ».
lude
le 7 décembre 2017 à 12 h 14 minC’est vrai ,V2S on dirait des scènes ou des plans d’Eric Rohmer!
Nanou
le 7 janvier 2018 à 19 h 26 minje repasse souvent par ton blog lire mes articles préférés dont celui ci.
Pensée à Nesrine, je t’ai toujours admiré sans te connaitre personnellement.