Le matin tu te lèves, tu choisis tes vêtements. Faut pas que la jupe soit trop courte, sinon tes collègues vont la raccourcir du regard. Faut pas que tes bas soient trop fins, parce que t’as pas pu aller chez l’esthéticienne. Elle avait trop de monde pour te prendre, toutes ces filles voilées que tu vois dans la rue prennent soin de leur intérieur.
Tu prends ta voiture, tu roules doucement parce que les flics t’ont à l’œil. Un chinois te klaxonne pour aller plus vite, ils s’y mettent eux aussi.
Un flic t’arête, tu sais pas pourquoi. T’inquiète pas, il trouvera pourquoi.
Te voila repartie avec supplications et sanglots.
T’arrives au travail, tu pointes. Pas tes tétons, ta présence. Badgeuse plus empreinte digitale, rien que ça.
Tu marches tranquille dans le couloir quand un petit vieux t’aborde. Le voilà qui connaît tes dossiers et le voila qui veut travailler avec toi. Travailler en groupe.
Parce qu’en Algérie, on ne travaille pas assez en groupe qu’il te dit. Tu dis oui, tu parles bien, et ensuite tu le critiques avec tes jeunes et beaux collègues. Enfin beaux, je dis ça parce que je suis gentille et pas trop regardante par certains matins.
Après 3 heures à mailer, à poster, à commérer, à travailler un peu quand même, à poser des questions, à livrer des sourires, à remonter tes bas, c’est l’heure de déjeuner.
T’as de la chance, t’as le choix.
Tu vas dans un resto (fast food avec des tables et des fourchettes) avec tes collègues que tu trouve moches. Il est midi, t’as ouvert les yeux, t’as faim, t’es fatiguée.
Les vlà qui parlent politique, les vlà qui dénoncent, qu’avant c’était mieux, que c’est voulu, qu’on nous ment. Qu’on a du pétrole, mais qu’on fait rien avec. Que même le Maroc il est mieux que nous. Là ton sourcil se soulève, et le bougre il a vu ton geste.
Le vlà qui a pas avalé son bout de pizza crevette et qui te sort « Non mais t’y es allée au Maroc récemment ? » « T’as vu comment ça brille là bas ? »
Non, j’ai pas vu le Maroc mais le bouffon m’a pas convaincu.
Le bouffon m’énerve. Le bouffon me dégoute.
Tu manges, tu les écoutes, tu souris de temps en temps, tu hoches la tête, t’en places une parce que t’es un peu hypocrite. Mais t’es plus vraiment là, t’es à la campagne, t’es dans ton lit, tu mates une série, t’es en train de mourir de rire avec ta petite sœur. T’es ailleurs.
L’aprèm dans ton boulot, t’es encore plus loin qu’ailleurs, tu dors.
17h , ruée vers l’or. Celui qui reste une minute de plus c’est celui qui fayote.
Tu rentres, tu sais même plus quoi répondre quand on te demande comment s’est passé ta journée.
Tu regardes même plus la télé parce que sérieusement y a quoi à la télé ?
Tu regardes un dvd que t’a acheté à 150 da, que le vendeur il a pas compris pourquoi tu aimais les films français.
Après 1h25 de phrases d’auteurs, t’as comme une envie de prendre une voix rauque et de dire des choses intelligentes, douces et profondes.
Un jour tu les diras, mais il faudra repasser pour ça.
Mamzelle Namous