Y a des jours dans la vie où on regrette sa vie. On a une super expression en arabe pour ça, qu’on emploie souvent certains jours.
Les jours où le réveil annonce une profonde fatigue. Les jours où ton corps est resté coincé deux heures dans les bouchons, pour cause de grève. Que ton âme politiquement correcte veut pas insulter les gens de l’Aadl qui t’ont bloqué.
Les embouteillages te font regretter le choix d’être allé au boulot, mais depuis qu’on sait qu’on a un président malade qui exerce quand même ses fonctions, on peut plus invoquer un état maladif pour sécher son travail. S’il peut faire de la figuration tout en étant mourant, on peut bien tous faire un effort.
Sur cette autoroute je vois un type en Clio qui fume une pipe, et ça a quelque chose de joli. Je vois une fille qui se remet du crayon noir tous les vingt mètres. A l’entrée de Hydra on a repéré une face de panda, c’était elle.
Je vois 36 voitures auto collées Apple, c’est pas Steve Jobs qui a lancé une voiture en Algérie, c’est juste un truc de cavi (ringard) qui s’est étendu aux autres couches de la population. Ca avait quelque chose de joli.
Je viens de perdre deux heures de ma vie inconséquente dans la chaleur de la voiture alors j’ai envie de tuer tout le monde, même la fliquette du barrage qui n’arrête que les hommes. Sauf que j’ai remarqué qu’elle avait du vernis rouge, et c’est joli ça. Je me fais un film de sa vie, comment elle doit jouer a à la dure pour se faire respecter, essayer de rester coquette, se faire charrier sur son ptit cul par les autres flics, se faire défendre par son collègue Karim, celui que tout le monde admire au commissariat, comment un jour ils s’embrasseront clandestinement dans le vestiaire, sur fond d’une chanson de Faudel. La réalité doit être moins romantique que mon imagination, mais faut bien se mettre du bleu à l’âme entre les barrages.
Passons sur la journée de boulot parce que si je parle trop je risque d’admettre que j’ai tué une collègue qui se marie bientôt et qui a jugé utile de venir me demander mon avis sur le choix du carton d’invitation. Quand je l’ai invité à me laisser tranquille, elle a sorti plusieurs modèles de son sac, et à entendre ses remarques sur la classe de certains modèles à roses intégrées, j’ai pensé tellement fort à lui enfoncer sa rose dans la trachée que je crois que ça a marché.
Avis aux filles qui se marient ; arrêtez d’emmerder votre monde avec la salle, les fleurs, le faire-part, la taille des gâteaux, le coca-ou-hamoud, l’épilation prénuptiale, le traiteur. Les seules personnes que ça intéresse sont votre mère et votre belle-mère. Et votre copine Soumia qui vous veut du mal. Merci de votre compréhension.
En rentrant à la maison plus tard, je passe chez l’opticien récupérer mes lunettes, l’Algérie m’a rendu myope. Chez lui, y a une nana qui veut le payer en euros, elle sort un tas des gros billets français, lui il refuse. Elle se casse 5 minutes pour faire le change, pile le temps qu’il faut pour qu’on puisse se faire un film de cette trafiquante sans foi ni lois qui veut lui fourguer de faux billets et qui reviendra probablement jamais. Elle est revenue, mais commérer comme ça sur du vent avec un inconnu, ça a quelque chose de joli.
Je suis myope et moche, mais je conduis mieux. Dans la rue devant chez moi je vois un vieil éboueur triste qui balaie, une petite fille en petite robe orange court en sautillant de joie enfantine. Quand elle passe devant lui, elle le regarde et lui dit « rabi i3awnek » (que Dieu t’aide).
Je suis contente de pas être sourde et d’avoir entendu ça. Ca avait quelque chose de très joli cette scène. A la fin de la journée, je regrette moins ma vie.
Mamzelle Namous