En ces jours de crève-la-soif, il y a des choses super géniales qui se passent. Des sensations de purification interne, ce sens de la maîtrise du contrôle de soi, cette idée que oui-moi-aussi-je-peux-devenir-anorexique. Dans quelques jours, les bienfaits du jeûne se liront sur nos visages, et nous paraîtrons plus jeunes et plus beaux.
En attendant, voilà ce qui se passe certains matins :
-Se réveiller en ayant déjà soif, et ne pas oser duper Dieu en faisant semblant de croire qu’il est 2h du mat, alors qu’il est 11h.
-Pire encore, se réveiller en ayant mal à la tête. Et regarder la boite de doliprane, gentiment posée sur la table de nuit, vous faire de l’oeil.
La vie est dure pour nous autres jeûneurs sans frontières. Je dis ça car j’ai une pensée pour ceux qui jeûnent dans des pays non-musulmans, et qui subissent les odeurs du big mac, et les questions de leurs potes » Même un petit bonbon tu peux pas? Même boire tu peux pas? Je sais pas comment vous faites, moi j’aime trop manger pour faire ça. »
On est en août, donc ce n’est pas d’actualité dans la plupart des régions du monde, mais une petite pensée pour les étudiants qui jeûnent dans des pays non-musulmans, et qui sont obligés de rompre leur jeûne dans une salle d’amphi. On les distingue bien ces petites têtes d’arabe, dispersées dans l’amphi , guetter l’heure et sortir leurs petites dattes devant leurs amis ahuris « Oh des dattes comme c’est exotique! » .
Au fil des jours, ils deviendront les meilleurs amis du monde, iront manger les uns chez les autres, et feront des soirées chicha dans l’unique café maghrébin de la ville.
C’est aussi le génie du Ramadan, créer du lien social.
Parce que nous, ici en Algérie, on se plaint on se plaint on se plaint on se plaint , mais on a bien de la chance d’avoir une vie aménagée en ces jours.
On tient toute l’année des discours merveilleux sur la nécessité de laïcisation de l’Etat, mais on est bien content durant ce mois d’être tous ensemble dans la merde dans la crève-la-soif-et-la-fatigue-et-je-crois-que-je-ne-sens-plus-mon-sang-circuler.
Et il y a quelques jours, un truc génial s’est produit : je suis tombée malade. Mal de gorge à m’en couper l’appétit et le sommeil. En chemin vers le médecin , j’ai la certitude qu’il va me dire » Vous serez obligée d’interrompre votre jeûne quelques jours, ça ne vous dérange pas trop? ».
Je sais je sais je sais, je peux faire ce que je veux, c’est en mon âme et conscience, mais des personnes bien renseignées m’ont dit que ça fait toujours meilleur effet d’avoir un mot du médecin le jour du jugement dernier.
Me voilà donc chez le médecin, avec un gorge ultra-méga-supra irritée. Sa seule et unique question » C’est bizarre d’avoir ça en plein été, vous avez mangé de la glace? «
Silence…………. Je regarde les murs pour voir ses diplômes, et je me souviens qu’on n’est pas dans une série américaine.
Long silence……………………………..Et FLASH-BACK!
( L’année dernière j’étais allée voir ce même médecin parce que j’avais un mal de tête de la mort qui tue qui m’empêchait de voir la lumière du jour (non non j’exagère pas), et sa seule et unique question avait été « Tkonecti? » ( traduction : tu te connectes souvent ?).
-Euh oui… je suis assez souvent devant mon ordi.
« Mala hadi hya ».
(Traduction : alors cherches pas plus loin ma fille. Si tu souffres autant ta race c’est à cause d’internet et des dvd).
Ca a beaucoup plu à ma mère, mais ça ne m’a pas réconcilié avec le soleil).
Voilà pour le flashback qui vous donnera une idée du génie de ce médecin.
Revenons au Ramadan et au mal de gorge. Il me prescrit des médicaments à prendre trois fois par jours (et mon ventre me lance des youpiiiiiiiiii), et rajoute « Comme c’est carême, attention à ne prendre les gouttes pour le nez durant la journée, ça descend dans la gorge ».
-Ah……
» Donc un comprimé après le ftour, un autre vers minuit, et un autre avec le shour. »
-Oui mais moi, je me réveille pas pour le shour.
» Vous n’avez pas le choix ».
Connard qui veut même pas me faire un mot pour Dieu.
Un autre truc génial du Ramadan c’est l’ambiance pré-ftour dans les cuisines algériennes. Une ambiance qui vous propulse à l’heure du coup de feu dans un grand resto.
Avec en prime :
-La mère qui panique que tout ne soit pas prêt à temps. Comme si Dieu nous en voudrait de nous mettre à table quinze minutes après l’heure autorisée.
-Le père qui tourne en rond dans la cuisine , on sait pas pourquoi.
-Les frères qui viennent de se réveiller.
-Les soeurs qui râlent que ce soient toujours les filles qui fassent tout, y en a marre.
Mais une fois à table, on oublie tout et on rit.
On le dit peut-être pas à voix haute, mais c’est à cet instant que l’on pense à ceux qui, à cause de la vie, du destin, ou de l’économie, ne rient plus .
C’est l’un des trucs géniaux du Ramadan, on geint, on fantasme, on rit, on s’amuse, on attend la fin. Mais on n’oublie pas.
Mamzelle Namous