On ne parle pas beaucoup d’amour ici. C’est un mot qui se chuchote et qui s’écrit à peine.
On évoque la rencontre, on attend le mariage, on discute des questions associées.
Un jour, j’assistais à une discussion entre deux filles. L’une parlait de « son ami ». L’autre demandait « Alors vous pensez au mariage ? ».
« Non, pas du tout ».
« Alors pourquoi vous restez ensemble ? ».
Cette fameuse question, lorsque vous y avez droit pour la première fois, un « euh….» s’éclipse de votre bouche, et s’installe dans votre tête.
Que répondre à ça. Certains disent « on apprend à se connaître ». Mais la réplique a sa date d’expiration.
Alors on dit qu’on s’aime, qu’on ne se projette pas dans l’avenir, qu’on est encore jeunes pour penser à tout ça.
Et on le dit souvent, tant la question du « alorskech officialisation ? » est récurrente, sur le ton de la plaisanterie (la plaisanterie qui dure, qui dure) ou celui sérieux des gens tristement sérieux
Il n’y a pas de notion du présent. Ici le présent n’est qu’un prélude. A une khotba (demande en mariage), à un crédit immobilier, au premier fils.
Au début, la question vous fait rire. Vous vous en fichez, vous êtes libre, heureux, l’amour s’installe doucement dans votre vie. Vous vous moquez de ces gens et de leurs réflexes avec vos copains. Vous êtes différent de la masse. Vous avez 30 ans, mais merde vous êtes encore jeune, aucune ride ne se lit sur votre visage, vous avez toute votre vie pour un crédit et des mioches à aller chercher à la crèche locale.
Après quelques mois, cette question « mais t’as envie de te marier avec elle/lui ? », rentre dans votre quotidien et sort de la bouche des potes avec qui vous en déconniez avant (cf. paragraphe précédent). Alors forcément, votre sourire radieux (faisons nous plaisir, lançons nous des fleurs) s’irrite un peu.
Vous expliquez aux gens qu’entre vous et l’amour de votre vie, c’est la vie au présent. Que votre relation n’a pas besoin de ce support qu’est le projet d’avenir.
Les gens, ils gobent pas ça. Ils sont dans une bulle de pâte d’amande en forme de poire.
Au bout de deux ans, vous êtes la pute de service. Vous appartenez à la catégorie de filles avec qui le mec joue, mais qu’il n’épouse pas. Les histoires de « Chafia est sortie pendant des années avec Chafik. Ils étaient fous amoureux, ils sortaient, ils faisaient tout ensemble. Mais il a fini par épouser Chafika, la très jeune et très sage fille du commissaire ».
Votre mère qui a toujours eu peur que vous deveniez une Chafia, vous répète que sortir avec des garçons c’est bien. Perdre son temps avec eux, c’est moins bien.
Et votre meilleure amie commence à tenir le même discours.
Le temps… si frêle. Si insignifiant. Tous ces parents qui s’agitent pour inscrire leur gosse de 5 ans et demi à l’école, sinon après il sera toujours en retard sur son âge.
Tous ces mauvais choix qu’on s’oblige à assumer au risque de perdre encore une année.
Les choses qu’on croit devoir réaliser avant 30 ans.
C’est dur l’amour entre deux êtres humains. C’est dur le couple dans certains pays. Le temps présent est tout ce qui existe, et qu’on cherche pourtant à fuir à coups de bonds dans l’avenir.
Ou à coups de ressassements du passé parfois aussi….
Se lier au présent avec une personne, en prenant son temps, c’est vivre sa vie sans déranger le futur qui arrive. Sans se ranger irrémédiablement.
C’est l’amour qui prend votre vie, avec courage, avec douleur. Alors c’est risqué, ça dérange ceux qui vous veulent du bien, et ceux qui veillent à votre mal.
C’est trop d’individualismes pour entrer dans nos traditions.
Alors que vous ne dérangez personne, vous serez rangés dans des cases de petits esprits. La vieille fille, la salope, celui qui ne veut pas s’engager, celle qui a raté des occasions en or, celui qui a fait un mauvais mariage.
On vous prêtera volontiers de l’amertume aussi.
Alors que votre fenêtre abrite des baisers salés et des baisers sucrés, vous vous surprenez parfois à vous laisser prendre par les lèvres amères des autres. Et à vous poser des questions sans goût.
Mais un nuage de bisounours balaie ces questions, et vous laissez l’amertume pendre aux langues de ceux qui en ont le temps.
Mamzelle Namous