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Archive du mois : octobre 2011

Ma vie ne ressemble pas à un film français

Un samedi, c’est un jour que t’as pas encore compris. C’est le week-end mais pas vraiment.

 Tu te réveilles avec le bruit des travaux des voisins, ils sont en train de construire un château sous ta fenêtre, et tu les regardes. Ta mère-grand est allée vérifier le permis de construire. R+2. La semaine dernière, ils ont entamé le troisième étage et paraît que c’est pas fini.
Ta mère-grand pense à aller se plaindre à la mairie, pour cause de vol illégal de soleil. Mais à la mairie, ils sont pas encore dotés du service « réclamations ». Enfin si, mais pour déposer un dossier, il te faut l’extrait de l’acte de naissance de ton futur petit fils, et tu le retrouves pas.
Alors , ta mère-grand, elle a dit  » On va prendre une photo et l’envoyer aux journaux ».
Elle vit dans sa bulle. Le voisin dans son monde. Toi dans le bruit, et bientôt dans l’obscurité.

 Le samedi, tu le continues dans un état proche de la déprime. Tu passes ta journée à répéter « daket rouhi ». Qui veut dire « c’est étroit à l’intérieur de moi ». Tu te plains à ton mec, il sait pas quoi te dire, tu raccroches.
 T’as bien envie de sortir, mais tu sais pas où. Une  copine te propose l’aroma café, t’aimes pas trop mais t’y vas. C’est fermé, t’es à pied, y a nulle part où aller dans le quartier. T’as pas envie de te taper la route que tu fais déjà toute la semaine.  Tu finis dans une pizzeria, à faire comprendre au serveur que tu veux pas de pizza, juste un chocolat chaud.
 Ta copine, c’est une journaliste qui écrit aussi des livres et qui fait des films. Elle recèle d’histoires intellectuelles. Vous avez déjà voyagé ensemble, et vous pourriez passer des heures (enfin une heure) à parler de littérature soviétique et de guerre des diamants en Afrique Noire.
 Mais vous parlez que de garçons, et vos aventures se ressemblent. Ca vous passionne.
A côté de vous, deux jeunes filles parlent de garçons aussi, de textos bizarres, de messages ambigus, vous vous moquez d’elles.
 Vous décidez de rentrer à la maison à pied, à discutailler entre filles, vous longez une espèce de parc, c’est joli, mais vous marchez étrangement. Vous avez peur qu’un type vous colle la main aux fesses. Parce que ça vous est déjà arrivé quatre fois en 15 ans, alors maintenant quand vous marchez, vous guettez les mains des autres et la position de vos fesses. Vous tirez sur le bas de  votre gilet, mais ça sert à rien.  C’est jamais les jeans tailles basse collé serré qui roucoulent du cul  qui se font choper.
 Quand tu retournes chez toi, le samedi après-midi te replonge dans l’ambiance  écolière, à la veille du début de semaine. Les devoirs à faire, les leçons d’histoire à apprendre, la flemme, l’ambiance morne de la maison, le rien à la télé, le rien à manger. Et les parents qui ressassent d’aller travailler.
 Alors que là t’as  rien à faire, à part attendre  le temps passer. Ton frère est en pleine négociation avec les parents pour le nombre d’invités à son mariage. Quand certains noms fusent, les voix montent très vite.
En Algérie ce sont les parents qui se marient, les intéressés sont des invités comme les autres.
 Je trouve une photo de travail de mon père, à la sortie d’une conférence, avec tous ses collègues, et je la montre à mon frère en lui disant  » voilà à quoi va ressembler ton album de mariage mon chou ».
Ca le fait pas rire.
Comme tout le monde, il a toujours répété que son mariage serait intime et lui ressemblerait.
Comme tout le monde, il cèdera et distribuera des sourires figés à une centaine d’inconnus et fera des gesticulations devant un photographe bizarroïde.
 Le samedi soir, moi je vais me coucher avec un film français, le genre de Claude Chabrol , pour rester dans l’ambiance, et donner de la consistance à mon ennui.
 Alors quand la semaine commence, je m’ennuie toujours,  mais j’en fais tout un cinéma français.  Je prends la gestuelle d’Isabelle Huppert,  je me teins les cheveux au henné, je marche au ralentis, je file gentiment  mes collants en coton,  je mets trop de mascara et je joue le vide, en en faisant un paquet.
Je vais manger seule, je m’arrête dans l’une des plus belles bijouteries pour mater les diamants. Le vendeur me présente le modèle « Kate ». Très à la mode en Algérie.  Je demande  » Moss? » , d’un ton timbre. « Non, la princesse« .
« Ah trop cliché pour moi…. »
Je hausse le sourcil quand il me présente le prix, alors que ma tête hurle  » whaaaaaaaaaaaat », je sors de là.
Je voudrais marcher en regardant les  merveilleux nuages, mais je me souviens que j’ai peur de la main aux fesses.
Alors je marche vite, je traverse de l’autre coté quand il n’y a plus de trottoir, je refais ça plusieurs fois. C’est éprouvant.
Un type en voiture me crie  » wesh orangina!!« . Je comprends pas. Je rentre à la maison, ma mère me dit que mes cheveux ont étrangement viré orange. Qu’il faut arrêter de faire le  henné comme ça, toute seule n’importe comment.
 Je décide d’arrêter les films français. Jusqu’au samedi soir.  Et je me tape la belle gueule de Louis Garrel. Ensuite je cherche à Alger un homme comme lui, je trouve pas, je vire rouge, je bois de l’orangina,  et les autres choses manquent……..
Mamzelle Namous

Peut-on parler des jolis garçons?

« Les jolis garçons », c’est un titre de livre que je n’ai pas lu, que j’ignore de quoi il parle. Mais l’expression, elle me suit. C’est à cause du mot joli, probablement un de mes mots préférés, et un trop petit mot pour toute la joliesse qu’il exprime.

 

C’est aussi à cause des hommes. Certains, quand ils vous regardent, ils vous envoient du joli à pleine vue, et ça vous en met plein la vie. Du coup, les filles détournent, baissent le regard, s’embrouillent de timide, et ne savent plus quoi dire.

 

Les jolis garçons, ce sont ces hommes qui ont de l’espiègle dans les yeux. Qui du coup, même s’ils sont grands, vous rabattent dans l’enfance, avec les petits gars qui vous faisaient chavirer dans la cour de récréé.

 

Quand ça m’arrive, je veux me revivre, et je traîne dans le quartier où j’ai grandi. Un jour, j’ai voulu entrer dans mon école primaire. C’était en plein mois de ramadan, les gosses étaient déjà sortis.

Je dis au gardien que j’étais là avant et que j’aimerais juste y faire un petit tour. Il me demande «  Kriti wella Kariti? » (t’étais élève ou maîtresse?)….. 

Euh…. Non mais mec, tu m’as vu moi et ma fraîcheur juvénile? On a l’air d’avoir 50 ans?

 

C’était plus petit que dans mes souvenirs évidemment, mais s’asseoir sur un banc en pleine cour,  c’était comme regarder des bribes de passé. Repenser aux garçons qui courent après les filles, aux petits tabliers que l’on portait tous, à nos petits manteaux, aux bisous volés, aux joues rougissantes.

Je souriais comme une demeurée, et le gardien m’a chassé.

Quand je suis rentrée à la maison, toute heureuse d’être allée dans mon école primaire, ma soeur m’a sorti « wech tu te la joues pied noir qui fait son come-back? » 

 

Voilà, les jolis garçons, ce sont ceux qui vous donnent envie d’envisager l’enfance.

Vous les rencontrez deux, trois fois dans votre vie. Si vous êtes conne, vous partez sans rien dire, sans rien demander. Avec la conviction que le fait des choses qui vous a réuni vous fera vous recroiser encore.

Vous êtes conne quoi……

 

Ou pas.

 

Dans le monde, il y a des villes majestueuses, qui crient au romantisme. Et il y a des villes comme Alger, qui crie au loup. Mais qui derrière des portes, recèle des surprises, d’autant plus surprenantes, que rien ne les présage ou ne les projette. Des surprises, telles des apparitions, dont la disparition ne nous surprendrait même pas.

 

C’est pourquoi j’aime Alger, pour cet étonnement là. Au  milieu de l’ennui, du gris de la ville, du noir, des gens qu’on n’aime pas, il y a des coups de théâtre dans des détours.

 

Ce sont les jolis garçons. Ce sont les caprices qu’ici on aime bien.

 

 

 

 

Mamzelle Namous 




p.s : je viens de lire le résumé du livre, qui donne envie d’être lu! Si je le trouve, je le laisserai sur un banc tiens, et je dirai où, pour qu’on puisse jouer (enfin) au passe-livre (book crossing, , livre-libre, kitab hor……). 

Bonjour je m’appelle Mina, j’habite Alger et je n’ai pas de voiture





Si toi aussi tu cherches une voiture depuis X temps, ce texte est pour toi. 
Si t’as 20 ans, de longs cheveux soyeux, une frange et que tes parents t’ont acheté une voiture quand t’as eu ton permis, passe ton chemin. Tu m’énerves à chaque fois que je te vois, alors de de grâce, barre toi! 
Alors voilà, jadis, mes parents m’ont prêté une petite voiture. C’était pas l’état de l’art, mais c’était cool, on s’amusait bien. Elle s’arrêtait sans raison, je lui gueulais dessus. Je lui chantais des chansons. Elle m’étouffait, je lui faisais prendre l’air.  Elle perdait de l’huile, je l’engraissais.
C’était comme un mauvais petit copain, au moins elle était là.
Pis un jour, elle est partie. J’ai pas compris. C’était la nuit, quelqu’un est venu et il l’a pris.
Mes parents m’ont expliqué que la voiture n’était pas à eux, qu’il fallait la restituer. Qu’on savait bien que ce jour finirait par arriver, et que vite ils m’en achèteraient une bien à moi.
C’était il y a bientôt un an.
Bientôt un an de « qui m’emmène le matin?« , de « ah oui j’adorerais t’accompagner à cette soirée privée avec des marines  à l’ambassade des Etats-Unis mais j’ai pas de voiture« , de « tu peux venir me chercher? », « tu peux me raccompagner? ». 
AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA!
Bientôt un an de « attends je vais demander à mon père s’il peut me déposer« .
Cette dernière phrase, là, c’est un aller direct vers  » Salut, je m’appelle Mina et j’ai 15 ans ».
Chaque samedi ( parce que je choisis le samedi pour être particulièrment chiante), je me pointe devant mes parents à l’heure du déjeuner et je déblatère sur mon malheur de jeune fille moderne, sdf de la voiture.
Au début ils étaient encourageants, ils me disaient de patienter juste un peu, qu’une bonne affaire se profilait.
Au bout de quelques mois, le discours a changé, ils m’ont dit qu’ils voulaient du neuf. « c’est mieux d’acheter une voiture neuve, c’est connu ». 
Ensuite mon frère nous a dit qu’il allait se marier, et là j’ai compris que pour la voiture neuve c’était mort cette année.
Le samedi d’après, re-pointage tout de même « Alors kech tonobil? »
Là, leur face a commencé à  changer  » si tu veux une voiture, commence par chercher toi-même ».
Ok.
J’ai pris le numéro de toutes les « A vendre » vues sur la route. J’ai gentiment demandé le prix.
Les vendeurs ils m’ont dit  » Mmmm on m’a donnée 800000″.
Quoi? Mais votre prix?
« On m’a donné 800000 ».
Ah ok, je savais pas que je participais d’emblée à des enchères.
En plus que j’ai jamais rien capté aux prix.
Ensuite j’ai jamais compris pourquoi, en Algérie, la voiture d’occaz est aussi chère que la neuve.
Tout le monde a une explication logique là dessus , histoire d’interdiction de crédit, d’offre et de demande, bla bla bla.
Mais ça m’énerve, alors je comprends pas.
Au fil des semaines, j’ai tout de même sélectionné quelques bonnes affaires.
La 2Chevaux vintage à 200000 dinars. Je m’y voyais déjà.  La Swift de 2006 j’en faisais déjà des films dans ma tête. La dizaine de Peugeot 206 aussi.
Tout cela fut classé sans suite par la haute autorité parentale, la très respectée HAP.
Quelques semaines encore plus tard, le discours a encore changé. Des phrases telles que  » prends le bus » sont apparues dans le vocabulaire de la HAP.
On a aussi pu entendre  » tu veux une voiture? achète là toute seule ».
Mes arguments, tel mon désespoir, se sont faits enfantins. « Mais Rania, son père il lui a acheté une voiture elle! »
« Mabrouk 3liha », qu’ils m’ont dit.
Khraaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa! (ça j’ai pas dit, je l’ai juste crié tellement fort dans ma tête que je suis sourde).
Mon anniversaire est passé, des milliers de samedi aussi, la même rengaine toujours.
Je pense à une fugue, ma grand-mère songe à un vol. Nous repensons à l’époque où j’avais entre 15 et 20 ans, et qu’à part Volkswagen, aucune marque n’avait grâce à mes yeux. J’étais snob, garce, j’y croyais.
Aujourd’hui, je prendrais même du chinois. En voiture, pas en homme, je suis encore snob du mec.
Samedi dernier, je dis rien. Je retiens, j’avale mes mots, je ravale ma salive, je fais tourner ma langue, je chope un ulcère. Mon frère nous parle de la somme minimale que coutera son mariage.
Vous savez que traditionnellement ce sont les parents qui prennent en charge ce genre de frais. 
Je m’étrangle.
On me tire de mon silence en me demandant  » Et toi Mina il faut que tu commence à penser à tes robes pour le mariage de ton frère ».
AAAAAAAAAAA JE VAIS VOUS RUINER!!!!!!!
Je les regarde avec ce regard que-je-crois-mystérieux-et-profond-mais-qu’en-fait-est-ridicule-et-qu’on-dirait-plutôt-que-je-louche. Le regard que prennent les gens qui voient défiler la phrase ridicule  » La vengeance est un plat qui se mange froid ».
C’était le récit  de Mina, jeune fille de plus de 25 ans qui a perdu la tête. L’année prochaine elle vous racontera comment elle s’est mariée avec un chinois petit, myope et moche, et en plus pauvre. 



Mamzelle Namous

C’est pas Moi, c’est Elle

the sartorialist
Vous savez, il y a des matins dans la vie où vous vous levez dans un éclat de rire.  Où un sourire vous suit gentiment toute la journée , où vous traînez un visage radieux malgré vous. C’est rare, mais ça arrive.
Ce matin là, vous ressortez le recourbe cils et vous êtes la reine du monde.
J’appelle ça les journées où votre vie vous rattrape, où votre visage se reconnaît.
J’appelle ça les jours amoureux. Ceux où vous vous surprenez à regarder les arbres, tiens.
J’en ai eu quelques un comme ça ces dernières années. Et là très dernièrement.
C’est un réveil doux, où l’on rêve encore, avec étirement, avec enjambées. Quand BAM on entend quelque chose qui se fracasse. Merde, j’ai oublié que je dormais avec l’ordi sur mon lit.
On ramasse, tout va bien, la tête continue son sourire.
C’était un jour, où dans la voiture, au milieu des bouchons et de la chaleur, je regardais deux gosses dans la voiture devant moi. Ils collaient leur nez au pare brise arrière et jouaient timidement. Pas le genre de gosse qui vous fait la grimace quand il vous voit ( ou un doigt tiens, ça arrive aussi). Le genre un peu gêné et espiègle dans les yeux, qu’on a envie de prendre en photo.
Le genre qu’on a envie d’imiter aussi, et qui nous rappelle toutes les fois où, avant 10 ans, on a fait ça.
Je les salue quand ma voiture les double, et j’ai peur de me prendre un vent. Mais non ils sont gentils, ils me font un signe aussi.
Là je sais, à mon émotion ridicule, que mon enfance me cherche aujourd’hui.
C’était ce jour même où j’ai fait un road trip forcé avec une fille que je n’aime pas beaucoup. Les filles qui ne s’aiment pas savent se réunir autour de deux sujets de conversation : les cheveux et les garçons.
Les filles qui s’aiment aussi d’ailleurs.
On s’est éclatées à se raconter nos histoires de lit, de boutiques de lingeries tenues par des barbus où du coup t’oses pas trop regarder. Quand tu chopes timidement un modèle, le barbu te dit «  non non celui là ne t’ira pas, fais moi confiance, prends plutôt un bonnet C« .
Et t’as envie de t’enfuir. Alors que le mec il a toujours grave raison sous sa barbe.
On s’aime toujours pas avec la fille, mais on se fait moins de grimaces.
C’était ce jour aussi, lorsque je suis rentrée à la maison, et que ma mère m’a embarqué pour aller visiter un appart. « On cherche un logement maman?« 
-« Non mais ça fait passer le temps, et on sait jamais qu’un jour on veuille te foutre dehors » 

J’adore les agents immobiliers et leur j’ai-réponse-à-tout.  Si vous dites que la fenêtre donne sur une vue pourrie, il est capable de vous sortir « Non mais plus personne ne regarde par la fenêtre aujourd’hui ma p’tite dame ». 
Alors on est allés voir l’appart où ma mère compte me jeter un jour. Et je ne sais pas ce qui s’est passé, mais j’ai fait un bond dans le temps. J’ai la certitude d’avoir grandi dans cet appart, ou d’y avoir passé des heures et des heures, avant mes 10 ans.
L’agent immobilier nous dit qu’il a été construit au début des années 2000.
Je le crois pas, je crie  » On achèèèèèèèèèèète« !
Ca n’évoque pourtant rien de particulier à ma mère, mais ça me rappelle tellement quelque chose des années 80.
Ou des photos de mes parents dans le années 70. Quelque chose dans ma mémoire en tout cas.
En sortant de l’immeuble, j’eus la sensation d’un regroupement de vie.
On achètera pas, parce que « machi affaire », mais ça me conforte de savoir qu’il y a là, partout, des endroits inconnus ancrés dans notre mémoire.
Je me souviens qu’un jour j’ai beaucoup trop aimé cette phrase de Ionesco, « Le fait d’être habité par une nostalgie incompréhensible  serait tout de même le signe qu’il y a un ailleurs« , sans vraiment la comprendre.
Je me souviens avoir beaucoup dit, à une époque, que nous sommes originaires de la mémoire de nos parents.
J’y ajoute évidemment, allègrement, la mémoire de notre enfance.
Et il y a des jours, à la vue d’un endroit, ou d’un homme tiens, où votre enfance vous coure après. Alors mieux vaut n’avoir d’autre choix que de courir avec elle, de tourner autour des arbres, jusqu’en avoir les joues rosies, et le visage qui éclate de rire.
Mamzelle Namous

Libérez les Boissons!

Alors toute à l’heure je parlais au téléphone avec ma sœur, qu’est partie loin. Elle marchait dans une grande et belle avenue, café caramélisé starbucks à la main, elle gambadait, heureuse et ensoleillée.

Elle me dit «  Et toi tu fais quoi ? ». Moi ma chérie je marche dans les rues du quartier, je vais m’acheter à manger. Tu veux entendre ma commande, ça va te faire rêver : Bonjour, complet poulet sans salade s’il vous plait, hrissa-mayonnaise oui, merci .
Ca te donne pas envie de revenir à Alger ? Nos matins sont légèrement frisquets, je prends un foulard d’automne avec moi. La journée, peu à peu, devient moite et chaude. L’humidité ravage nos cheveux et nos teints.
Il y a de l’humidité là où tu es ?
« Non non mes cheveux tiennent bien ». La boucle, meilleure indice du taux d’humidité.
Je lui dis que notre mère m’a harcelé pour qu’on installe Skype, et ce fut chose faite la veille. Qu’on l’a attendu mais qu’elle ne s’est pas connectée. Que maman n’a pas voulu me laisser aller dormir , qu’elle a voulu garder l’ordi, qu’il a fallu lui montrer comment ça marchait Skype. Comment ça marche Windows aussi.
« Ah oui hier soir je suis allée au ciné. Ensuite dans un resto super bon, y avait un acteur américain hyper connu mais je connais pas son nom. Tu sais celui avec les cheveux gris ».
Aaaaaaaaaaaaaaaaa ijzeBdebzebfbzfiezabfhzbfz Georges Clooney ? bkdezdegbuedg éyuegé ue Richard Gere? hkedhzihdezgezigdzeiu Robert Redford ?jlkzjzoemhmferzhfm!izjfzmfz!mémkremk!!!!!
« Je sais plus,  passons ».
Je t’envoie des photos d’acteurs toute à l’heure et tu me diras si tu le reconnais. Comme ils font dans les films avec les suspects.
« C’est bon Mina, t’as pas de vie ou quoi ? »
Bien sur que j’ai pas de vie, mon meilleur ami est le tenancier du fast food.
Je lui demande si elle compte venir à Alger pour ses vacances en novembre. Ca coïncide avec la fête du mouton, et ça serait bien qu’on se retrouve tous.
« Euh… »
Je joue la sentimentale, je lui rappelle l’aïd de l’an dernier. On avait un joli petit mouton, qu’on avait appelé Georges mon mouton. Sa peau ressemblait à nos boucles, et chaque jour on le vaporisait de parfum. Un mouton c’est moche et ça pue, mais on s’y attache.
Dans un scénario européen, on aurait tout fait pour sauver Georges mon mouton de la mort, mais l’algérien, après une demi-douzaine d’aïd, autant de moutons, devient blasé de la tendresse moutonnière.
Ainsi va la vie.
Alors le jour fatal, on a filmé. On a eu la chance d’avoir un vétérinaire en guise de debah (abatteur) qui nous a tout expliqué, qui nous a fait participer, et qu’à la fin on a voulu draguer.
Mais il avait des mains pleines de sang, nous des gandoura ( robes de maison) et ma mère se plaignait que le foie de Georges mon mouton soit trop petit.
On a donc évité le coup du « Je fais une étude sur les vétérinaires algériens de moins de 35 ans, j’aimerais beaucoup avoir ton témoignage de professionnel, tu peux peut-être me laisser ton numéro ? Ah t’es chez mobilis, c’est super, moi aussi ! »

On a raccroché en rigolant, et en attendant mon sandwich, j’ai eu  une énième discussion avec une inconnue sur « L’Algérie ».
On a tous eu cette conversation. Ca commence gentiment, et ça inclut souvent  » L’Algérie rahet fiha, ya hassra, djazair bekri ». Même si les interlocuteurs ont 25 ans.
Ca tourne autour de « on ne vit plus », »on ne sort plus », « L’Algérie c’est devenu n’importe quoi » , » Y a nulle part où aller »,  » On étouffe ».
« La circulatiiiiiiiiiiioooooooooooooon ».
Y a des périodes d’ailleurs où je ne peux plus parler d’autre chose que de la circulation.
Et même la circulation « c’est voulu! »
Ca va vers autrui : « Les gens ne respectent plus rien » , « ness heblou ».
Et à un moment, l’une des deux personnes dit quelque chose qui va faire sourciller l’autre. Aujourd’hui, j’ai sorti   » Et vous avez vu, ILS ferment les bars et les débits d’alcool« .
Silence gêné de l’inconnue. Je me sens obligée d’ajouter  » Non mais même si on les fréquente pas, ça nous concerne tous ». 
Blanc………………………
« Non mais c’est par principe ». 
Blanc qui lave plus blanc………………………………..
« Non mais c’est une question de liberté. Aujourd’hui c’est les bars, demain ça sera les chocolateries. Ou les fast food tiens ». 
Mon complet poulet sonne le glas de cette descente aux enfers.
Je sors de là, j’envoie un texto à ma soeur  » Ne viens pas pour l’aïd, c’est moi qui viens, bisou ».
Mamzelle Namous