IL faudrait que l’on parle de quelque chose de drôle, en urgence, pour éviter les sujets qui blessent.
Faudrait une actualité dont on pourrait se moquer. Comment je n’ai pas pris le métro.
Comment le 1er novembre, j’ai crié à la fenêtre « vive la France« . Juste pour réveiller le patriotisme du voisinage, résultat garanti.
Faudrait que je parle de ma coiffeuse ( oui, encore….). Trois mois sans la voir, et lorsque j’y retourne, elle me prend dans ses bras et me crie » Tes cheveux ils ont pousssssséééééé!!!!! Qu’est ce que tu leur as fait?? »
A cet instant, je voudrais prendre ma voix qui profère des choses belles, douces, tristes, et suaves, et lui dire » C’est le temps qui passe, son usure, le rythme de la vie, la loi de la nature, la fin et le renouveau, enfin je crois… ».
Mais c’est un salon de coiffure, pas un café littéraire, alors je réponds » Wallah walou« .
Elle insiste » Yeziiiik, qu’est ce que tu leur as fait?«
Je leur passe de l’eau de temps en temps.
Faudrait, ici, que je me concentre et que je parle des discussions de salon, des huiles essentielles, des bienfaits du beurre, du prix de la margarine. Des tablettes de chocolat à 400 dinars.
Pourtant, quand je viens ici, pour écrire, ils y a d’autres mots qui sortent. Et qui se censurent.
Mais reviennent.
C’est mon ami, au travail, qui subit un chagrin d’amour, et qui me dit, avec toute cette tendresse, « c’est vrai qu’on ressent vraiment un petit truc au coeur, c’est pas que du figuré ».
C’est son visage , chaque matin, un peu trop triste, le sourire un peu forcé.
C’est l’amour qui quitte nos vies, et ce départ qui prend toutes nos discussions.
Par élégance, on ne s’épanche pas, on ne critique pas. On garde, comme un trésor, l’immensité de l’affection.
Par une loi du corps, on rit beaucoup. Et ça étonne.
Par instinct de survie, on fait des projets, on se jette ailleurs.
Puis, on passe devant la télé un soir. Une chanteuse stupide chante une chanson stupide. Les chansons d’amour sont partout. On ne s’en rendait pas compte, avant.
Maintenant, on pleure devant Isabelle Boulay.
Ca s’appelle toucher le fond.
Parce que c’est quand même grave la honte, on essuie vite ses larmes, et il y a toujours quelqu’un aux alentours pour dire une blague et vous faire exploser de rire.
C’est votre tristesse qui éclate. Vous imaginez les poussières d’ange qui se dissipent ainsi dans l’air, que vous voudriez choper et distribuer telle une bonne fée.
Non, vous ne prenez pas de la drogue.
Vous évitez de trop parler vraiment, car les lèvres peuvent cracher des larmes.
Alors vous vous intéressez à autre chose.
Il me semble, depuis quelques jours, que l’essentiel est de ne pas perdre le sentiment. Qu’il ne faut qu’il s’effrite, comme du gâchis.
Qu’il faudra toujours le garder en mémoire, quelque part, entre sa gorge, son coeur et son ventre.
Que si l’amour s’en va de la vie, il ne doit pas quitter le sang.
Maintenant, il faudrait que l’on parle d’autre chose, de plus gai.
Des milles façons de répondre à « la3kouba lik« , des moyens d’éviter de dire saha aidkoum pendant un mois, de la viande de mouton qu’on va manger pendant autant de temps, de tout le monde qui parle d’aller au festival de l’Imzad de Tamanrasset cette semaine.
De toi, qui ne connaissait pas cet instrument de musique (comme tout le monde), qui t’en fous (comme tout le monde), mais c’est branchouille les sahara trip. Alors t’as demandé au boulot s’il te restait des jours de congé (on sait jamais).
Walou. Tu penses bien à prendre un congé maladie, mais cette année, t’as déjà eu trois grippes, une angine et cinq rhino-pharyngites.
Paraît que c’est beaucoup pour une seule personne ( dixit la nana de l’assurance maladie, parce que malgré ton état de grand corps malade, t’as quand même l’énergie d’insister pour tes remboursements).
Alors t’iras pas à Tamanrasset (Tam pour les intchimes) cette année. Tu pourras toujours pas dire cette phrase (ridicule) que tous les gens disent » Si t’as pas vu le grand désert, t’as rien vu ».
Khlass j’ai rien vu.
Pis de toute façon je m’en fous, pas besoin d’aller à Tam pour ressentir l’émotion de la musique maintenant.
Je suis toutes les chansons d’amour.
Mamzelle Namous