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Archive du mois : décembre 2011

C’est l’histoire d’une pistache..

Il y a un an, le blog jeuneviealgeroise.com était lancé. Avant ça, j’avais publié quelques articles sur facebook le même mois, et un jour, quelqu’un m’a dit « Non mais crée un blog merde« .

Allez hop.
L’été d’avant, je me réinstallais pour de vrai à Alger. Plus juste des vacances ou l’insouciance des années d’école.  Je redécouvrais, au quotidien, Alger, ses absurdités et ses éclats de rire. Un tas de choses m’étonnait, et je radotais.  Ma mère se contenant de me dire «  C’est ça Alger…« .
Une fois, par exemple, alors que j’étais allée au magasin Nedjma pour acheter une clé internet , je me  suis retrouvée avec une vendeuse qui m’a expliqué pendant 35 minutes comment le truc marche, comment il ne marche pas, ce qu’il faut payer, les modalités, les trucs à éviter, elle prend mon nom, on se met d’accord sur l’abonnement, on s’éclate. Je dis « C’est bon, je paye où? ».
La nana me sort  » Mais là elles sont indisponibles les clés« .
« Euh t’aurais pas pu le dire y a une demi-heure, on aurait gagné du temps ».
« Mais mademoiselle, vous m’avez demandé des renseignements, je vous ai renseigné ». 
« Non mais attends je vais te frapper ! « 
Cet été là, je lisais les mémoires d’une jeune fille rangée de Simone de Beauvoir, et certains passages me faisaient me questionner sur cette nouvelle vie algéroise que j’avais choisi, en famille.
L’expression jeune vie  me trottait dans la tête et ne me lâchait plus.
Le même été, il y a eu le travail. Le contact avec les gens, le mascara chaque matin, la circulation étourdissante,  regarder les femmes dans l’ascenseur et voir qu’on a les mêmes gestes de fard à paupière. Les déjeuners avec les collègues.
Si vous dites non, vous êtes cuites, wech hassba rouha hadi. ( traduction: mais pour qui elle se prend cette connasse?)
Si vous dites oui,  vous passez une heure et trente minutes à essayer de manger proprement , à penser à comment vous allez partager l’addition,  vous tentez de trouver des sujets de conversation, ou d’avoir des gossip sur les autres collègues, vous ne savez pas comment retirer le noyau d’olive resté dans votre bouche.
Il fallait bien cracher le noyau, et un jour, c’est sorti. Ca c’est appelé jeune vie algéroise, ça a parlé  de rien,  du soleil d’Alger, des jours plus gris.
Un jour, j’étais avec un ami  dans un café, je grignotais des cacahuètes, et sans faire exprès, j’ai mis une pistache dans ma bouche.  J’attendais qu’il regarde ailleurs pour la recracher. Le con il me fixait.
C’est long trois minutes avec une pistache entière dans la langue.
Je l’ai enlevé discrètement, j’ai joué avec. Elle m’a glissé des doigts , elle a roulé vers lui. Il l’a prise, il a joué avec, elle lui est tombée des mains. Elle s’est retrouvée par terre la pauv’ pistache.
La fille de la table à côté l’a ramassé, et..….l’a mangé!
Je regardais, abasourdie et éclatée, la trajectoire improbable de cette pistache.
Au quotidien, je ne suis pas le genre de nana qui répète à ses amis qu’elle les aime, qu’elle les remercie, que sans eux ça ne serait pas pareil.
C’ que je dis c’est  que passer une année avec vous c’est vachement bien quand même  putain.
Mamzelle Namous

Henné Forever

Il y a quelques jours, j’ai reçu un mail de cette fille qui s’appelle Bahia, elle voulait évoquer un souvenir algérien, et plutôt que d’écrire un texte, elle nous a fait un dessin.
Quand elle me l’a envoyé, il était trop petit , j’y voyais rien, elle m’a donc raconté la petite histoire. Quand elle était petite, elle puait « méchamment » des pieds, et du coup, pour remédier à ça, sa grand-mère lui mettait du henné!
Je savais pas que le henné était un anti-odorant ! Décidément, ça sert à tout, à faire joli avec des petits ronds sur la paume de nos mains, à faire des tatouages chelou, à soigner les ongles (mais bon c’est moche), à teindre le minou des nouvelles mariées dans les villages du 18ème siècle, et à rougir nos cheveux!
C’est un peu comme l’huile d’olive, une solution miracle au moindre mal!
Ca m’a fait rire , et j’ai trouvé ça sympa qu’elle veuille partager ça avec nous!
Mamzelle Namous 

La Fête à la Fac

L’autre jour, une copine m’a dit « Y a la soutenance  de ma sœur à bab ezzouar, t’es invitée.».
Ah ouais ? Merde Cool !
La fac de bab ezzouar, je la connais bien , pour cause de soutenance de plusieurs amis.
Parce qu’en Algérie, quand on soutient sa licence, son master ou son magistère, c’est la fête au village.
La famille au grand complet se la ramène, les amis, les amis de la famille. Les mamans préparent des mhajeb[1] , commandent des gâteaux orientaux, et rivalisent de services à thé ou café.
Quand mon frère a soutenu, on a dû empêcher ma mère de sortir les verres en cristal.
Pendant que l’étudiant présente le truc dont tout le monde se fout, une armada de cousines/copines s’affairent dans une salle à coté pour préparer les festivités.
Les profs ont droit à une table d’honneur, on dresse des nappes, on félicite toute la famille de l’étudiant, on coupe un grand fraisier aux bananes et aux ananas.
Y a même des gens qui engagent un caméraman professionnel pour filmer ce grand moment  où votre rejeton crache sa science. 
Bref, ça ressemble étrangement à un mauvais mariage.
Tout ça pour célébrer quelques piètres années d’études et un diplôme qui ne servira probablement à rien.
Ce n’est pas le pire. En Algérie, parfois, quand votre rejeton a son bac (à 10, 05 de moyenne), vous vous sentez l’obligation d’en faire des tonnes. Des gens viennent de loin vous rendre visite pour vous féliciter, vous louez une salle des fêtes pour faire une fête, le gosse reçoit  des cadeaux, de l’argent, vous entendez des youyous. Bref, ça ne ressemble à rien.
Tout ça pour que quelques semaines plus tard, il ne puisse pas s’inscrire à la fac qu’il veut, et qu’il passe son été à déprimer sur le fauteuil.
Quelques années plus tard, il entrera à la charika watanya. Et la mère, pour célébrer ça, lui fera du beghrir[2] .
Une fois, à Paris, je suis allée à une soutenance de thèse de doctorat d’un pote. Eh ben à sa « collation » (comme ils disent les français), y avait du jus d’orange d’une marque discount, des petits pains au chocolat et des gobelets en plastique. C’est tout.
Et les profs trainaient dans la salle comme tout le monde.
Y avait un marocain dans la pièce, on s’est regardés, on s’est compris. 
Alors de retour à Alger, j’avais espéré que ma mère fasse la même chose pour mon frère, un truc simple et soft.
Au final, on a eu une tarte aux fraises plus grande que la malle de la voiture, la famille de notre plombier était là, et mon frère s’est vu offrir un énorme bouquet de fleurs, comme s’il avait été élu mister bab ezzouar.
Moi tout ce que je voulais c’était draguer le beau chercheur en botanique que j’avais repéré, mais ma mère  m’a demandé de servir le thé aux gens.  
On en a bu beaucoup du thé durant les mois qui ont suivi cette soutenance, quand mon frère est entré dans le monde merveilleux du chômage.
Adieu fleurs, fraises, glamour et douces feuilles de menthe. Bonjour stress du téléphone qui ne sonne pas, mail de réponse qui n’arrive pas, barbe qu’on a plus besoin de raser, original du diplôme qui ne se délivre pas encore, secrétaire de la fac qui ne répond pas, et employeur qui ne vient décidément pas.
Youyouyouyou !

Mamzelle Namous

[1] Sorte de carré de pâte fourré, très bon quand bien fait.
[2] Sorte de crêpe que l’on fait à l’occasion d’un évènement heureux, très bon, se mange avec du miel et du beurre, très bon.

Comment je suis devenue une Presque Working Girl

the sartorialist
Je me souviens, c’était il y a environ deux ans, j’ai reçu un appel d’un numéro inconnu.
« Mademoiselle Namous ? Vous avez rendez-vous demain à 8h pour un entretien ».
« Euh …. Vous êtes qui ? Où ? Avec qui ? »
Non parce que j’avais déposé mon CV nulle part récemment, et aucun chasseur de tête ne cherchait ma tête, alors je me posais des questions.

« A la  charika watanya [1] , avec Monsieur le Directeur ».
Ok, ça fait plaisir.
Ca faisait genre trois ans que mon père, ma mère et ma grand-mère faisaient des mains et des pieds pour me faire recruter dans la boite (oui parce que personne n’entre dans la charika watanya sans piston), et j’allais enfin avoir un entretien.
Je les ai appelé pour les prévenir que le jour de leurs rêves était arrivé, mais ils le savaient déjà en fait.
Ouais, normal.
Alors moi je ne voulais pas y travailler, c’était mon cauchemar, mais je me disais qu’avec toutes les lourdeurs administratives, et depuis déjà trois ans que ça trainait, le jour de mon recrutement n’était pas près d’arriver.
Je vais donc à l’entretien, mon frère se moque de ma tenue, il me sort «  tu crois que tu vas postuler pour un poste chez  Vogue ? », je complexe, j’enlève les talons, j’ai chaud, j’ai peur.
Je me retrouve face à un Monsieur le Directeur vieux, chauve et moisi. Avant ça, j’avais passé 45 minutes dans le bureau de sa secrétaire, jeune, moche et déjà vieille.
Même si le job ne m’intéressait pas, j’avais préparé le sujet à fond, pour ne pas foutre la honte à ma famille.
Après deux-trois questions générales sur mes études, il me dit «  Bon, y a pas de problème ».
Ô misère. Je m’enfonçais dans la terre, j’étais  déjà vieille.
Il m’envoie direct au bureau des ressources humaines pour que je puisse commencer à préparer mon dossier de recrutement dans la charika watanya.
J’y vais à ce bureau, les murs sont pleins de classeurs nommés « CV reçus », le téléphone sonne, la nana n’arrête pas de répéter l’adresse mail à envoyer pour les CV.
Moi je sais que cette boite mail, ils ne l’ouvrent jamais.
Elle me tend un papier avec toutes les pièces à fournir. Je respire de nouveau, je me dis que connaissant la bureaucratie algérienne, j’aurai fini mon dossier dans un an.
Elle me demande d’attendre, je dois rencontrer Monsieur le Directeur des Ressources Humaines.
J’attends deux heures dans ce bureau, la mort passe par là, quelques verrues me poussent sur les doigts, je suis cramoisie.
Je regarde les gens qui s’affairent dans ce bureau et je pense «jamais, jamais, jamais, never ever, no way, this is soooooo not happening ».
Je trouverai une échappatoire.
Au bout d’un moment, on me dit que Monsieur le Directeur des Ressources Humaines est allé déjeuner, que je peux l’attendre ou repasser un autre jour.
La nana avait à peine fini sa phrase que j’étais déjà dehors.
Dehors, j’ai pleuré. Pleuré, pleuré.
J’ai retrouvé ma mère à la pizzeria wood pecker, je pleurais, elle était contente.
Je sanglotais. Le gérant, qui me connaît depuis que j’ai 13 ans, m’a demandé ce que j’avais.
Ma mère me faisait les gros yeux pour que j’arrête de chialer, elle me répétait «  Imagine s’il savait pourquoi tu pleures, hadik tbehdila [2], les gens rêvent de travailler, et toi tu mets dans cet état quand tu trouves un super travail ».
Je pleurais comme dans les dessins-animés japonais, les larmes giclaient de partout, même des oreilles.
Le gérant insistait «  T’as un chagrin d’amour c’est ça ? »
Si au moins.
Trois jours de dessèchement oculaire plus tard, mes parents me disaient que si je trouvais ailleurs, dans une boite privée, ça serait vachement bien évidemment, mais que la charika watanya c’était bien en attendant autre chose.
Mais le temporaire, on sait tous ce que c’est, ça dure, ça dure.
Moi qui aimais ma liberté, mes horaires de tarée, moi qui rêvais de bosser en free-lance dans une petite boite d’un immeuble haussmannien du centre ville  avec gens beaux et des jeans délavés, j’allais me retrouver dans mon pire cauchemar : l’administration.
L’administration et ses horaires stricts, ses gens désuets, ses rêves brisés, ses codes et règlements intérieurs, et les bananes vertes distribuées à la cantine.
Trois mois, et cinq crises des bureaucraphobie plus tard, je suis entrée à la charika watanya.
Les gens étaient bizarres, ils m’ignoraient (car dans le public, on déteste ce qui est neuf. Nos ordis sont équipés de word 1993), mais se documentaient sur moi (je l’ai su plus tard).
Je ne savais pas si la plupart des personnes qui me parlaient étaient profondément débiles ou extrêmement ironiques.
Plus tard, j’ai découvert que l’ironie ne se pratiquait pas trop entre nos murs.
J’ai découvert à quel point les relations humaines pouvaient être pauvres et médiocres (mais c’est pareil dans tout Alger), que connaître l’autre ne compte pas,  que la complexité humaine n’a pas droit  de cité.  Pourvu qu’on puisse te cerner assez rapidement, et interpréter tes faits et gestes selon la case choisie pour toi.
J’ai découvert l’étendue de l’adage, qui est un principe cardinal en Algérie, «  Hef T3ich ».
Autrement dit qui frimera, vivra.
Que lorsque tu ouvres la bouche pour dire quelque chose, la nana en face optera pour une approche en deux actes :
-rabaisser ce que tu viens de dire
-puis surenchérir.
Surenchérir, toujours.
Petit à petit, je me suis habituée, j’ai arrêté de pleurer au bout de six mois, et parfois même je souris.
Une fois j’ai ri. (Ô misère je deviens comme eux !)
Ca fait un an et demi maintenant. Les bananes de la cantine  sont noires, personne ne respecte les horaires, et je viens en converse.
On  ne travaille tellement pas et on fait tellement ce qu’on veut dans les bureaux que mes amis du privé se moquent de moi en me disant qu’au lieu de recevoir un salaire, je devrais plutôt payer un loyer à l’administration.
Le salaire ? Ouais c’est pas top, mais bon c’est temporaire.Mamzelle Namous

[1] Entreprise publique nationale administrative
[2] Ca serait la honte

 

Working Girl?

Pratiquement chaque matin, j’arrive au travail, de mauvaise humeur, et j’ai l’espoir que ça va passer.
Allez savoir pourquoi.
Je sais pas non plus pourquoi je suis ronchon comme ça tous les jours. Tout mon entourage l’est d’ailleurs. Un jour on s’est posés la question avec mes amis. Y en a qui ont dit que c’est à cause de la crise des subprimes aux Etats-Unis qu’on déprimait grave nous les jeunes.

D’autres ont dit que c’est à cause du manque de perspectives dans ce bled pourri de merde où on étouffe putain.

Mais moi je crois pas à tout ça. C’est plutôt parce que certains jours, je n’arrive pas à me maquiller les deux yeux de la même manière, et je tape une crise.
Mais je sais qu’il y aura toujours une des filles du bureau pour me dire que je suis belle, et que ça se voit pas du touuuuuuuut. Parce qu’on fait ça entre filles, on se complimente tout le temps, même quand makayen walou.
Alors ce matin, j’arrive, énervée contre la société. L’un des ascenseurs ne fonctionne pas, je refuse de monter dix étages, et puis quoi encore.
J’attends donc avec la foule que l’ascenseur qui marche arrive. On se dispute pour entrer, on est serrés à l’intérieur, j’arrive pas à appuyer sur mon étage. Deux types me touchent les seins pour atteindre le bouton.
Je suis sure qu’ils l’ont fait exprès, j’ose pas lever la tête pour voir à quoi ils ressemblent.
Pendant trois étages, deux nanas parlent d’allaitement.
Même l’ascenseur a envie de se bloquer.
J’arrive enfin à m’extraire de la chose, brise respirez !
On me signale que j’ai du travail, wouhou, ça faisait genre un mois que je n’existais plus dans l’entreprise. Ca me donne envie d’envoyer un mail à tous mes potes qui bossent dans le privé et qui se moquent de mon boulot parce qu’ils disent que dans le public on fout jamais rien.
Ben voilà même pas vrai.
Aujourd’hui j’ai du boulot, une responsabilité et pour ce faire, je vais péter plus haut que mon cul.
Je sors mes jolies lunettes de vue de mon sac, je me regarde dans le miroir. Elles accentuent mon maquillage raté, je les range.
Je m’apprête à imprimer tous les documents supra-importants que je dois étudier, examiner, analyser, commenter, et là il ne se passe rien.
Je me rends compte que je ne suis connectée à aucune imprimante.
Ca  fait genre un an et demi que j’occupe ce bureau.
Je tape un scandale, personne ne m’écoute.
Je demande à quelqu’un  qu’a une imprimante (wouwww faut être super important pour en avoir une dans son bureau) d’imprimer ces trucs pour moi. Ce quelqu’un me dit qu’il faut que j’amène mes propres feuilles.
Je vais voir une secrétaire qui me dit qu’il faut que j’aille m’adresser à l’administration pour ce genre de requêtes  extraordinaires plénipotentiaires.
A l’administration, ils sont fermés.
Il est difficile de péter plus haut que son cul quand , à votre âge,  vous en êtes réduite à ça.
Je vais pleurer aux toilettes, mon maquillage coule, y a  même plus de papier pour essuyer mes larmes.
Y en a jamais eu.
Je lis les documents hypra-méga importants sur l’ordi, ma vue baisse de minute en minute, je peux le sentir.
Je prends des notes avec un crayon et un bloc-notes,  et je joue avec mon crayon, je mange mon crayon. Ca fait classe.
Je mets la web-cam pour que mes potes du privé puissent me voir travailler.  Je m’attache, l’air de rien, les cheveux avec mon crayon.  Et je détache, et je joue, et je relâche.
Je maîtrise à fond le look de la working girl.
Bon, en fait,  le document, c’est une directive du premier ministre.  Je comprends rien.  Mais paraît que c’est normal.
Je ne prends pas de pause-déjeuner , histoire de pouvoir dire plus tard  » Oh la la aujourd’hui j’avais tellement de travail que j’ai même pas eu le temps de manger! », comme ils disent les gens dans le privé.
Vers 14h, je frôle le malaise, l’hypoglycémie, l’anémie, le coma éthylique. Une fille dont le poste est « cadre-assistante d’administration » me ramène des dattes.
Je suis sûre que dans une boite privée, ils se ramènent des cupcakes.
Je finis mon boulot à temps, je ne comprends rien à ce que j’ai fait, je l’envoie à mon patron.
Je regarde mille fois dans la boite d’envoi pour vérifier que je l’ai bien envoyé.
Avant de quitter le travail, et parce que je suis restée une heure de plus et qu’il faut bien qu’il le sache, je vais le voir pour lui demander s’il a bien reçu mon mail.
La secrétaire me dit qu’il n’est pas disposé à me recevoir pour l’instant, que si je veux, elle peut m’inscrire sur le registre des rendez-vous.
Elle me demande mon nom.
Un an et demi de boîte putain.
Il est 16h30  ( wouwww j’ai tardé aujourd’hui), je cavale les escaliers, je rentre chez moi affamée.
Je dis à ma grand-mère  » Oh la la aujourd’hui j’avais tellement de travail que j’ai même pas eu le temps de manger! Tu peux me faire des crêpes? « 
Le soir, je vais au restau avec mes potes qui ont des super boulots dans le privé. Ils parlent de leurs putains de responsabilités qui les rendent fous ( oh la la ),  de leurs primes annuelles, de la différence entre un véhicule de fonction et une voiture de service ( aaaaaa okayyyyyy), de la mercedes mise à leur disposition par la boîte, de l’augmentation qu’ils ont réussi à négocier de justessssssse avec le CEO ( le quoi?).
Moi je dis, que demain, à la cantine, c’est couscous party, et je m’enferme aux toilettes quand l’addition arrive. Non mais et puis quoi encore.
Mamzelle Namous

Pop is in the Air

A l’approche de Achoura, fête magnifique, jour férié, on a essayé, en vain, de négocier le pont.
On a pleuré, on a dit qu’on allait voir la famille, là haut dans le village, mais les gens de l’administration, des gens moches et gris,  ils ont rien voulu comprendre et nous laissent dans le brouillard grisonnant de nos vies.
 Mais fort heureusement, encore et toujours, des jolies vues, et des intermèdes hors de l’espace-temps.

 

C’était donc il y a quelques jours. Je sortais tard de la maison, comme à mon habitude.  Comme je suis passagère, j’ai toujours le nez dehors, même dans le froid et la pluie, à regarder le ciel et les gens.
Devant un commissariat,  une vision foudroyante. Un homme, un rien sublime, se tenait là, face à la route, dans l’ouverture grouillante des magasins de céramique et de faïence. Sa bouche cachée par le nuage de fumée de sa clope.
Un trench beige, une allure d’acteur des années 60. La classe ( la pure)  s’était invitée dans mon quartier.
Si j’avais pu stopper la voiture, arrêter le temps, descendre, courir. Dire bonjour monsieur, puis-je vous prendre en photo, pour montrer à Alger qu’elle garde des gens magnifiques en elle?
Si j’avais pu……………. Non non, soyons sages. Oublions la pop.
Vers midi,  j’appelle ma soeur pour lui dire  » T’as vu le mec devant le commissariat?? ».
Non, parce que dans mon esprit, une merveille ne peut être que sculpturale.
Non, Mina, non…….. T’as bu? Je sors à 7h et toi à 10h, comment veux tu qu’on croise les mêmes gens? 
Non, j’avais pas bu. Mais j’ai décidé d’y remédier, je kidnappe donc un ami à moi et on se traîne dans un resto en ville.
Ca faisait un moment qu’on avait pas marché dans les ruelles de Didouche, du coup on savait plus trop comment faire.
Le resto, tu sonnes, on t’ouvre, on te dévisage gentiment, on te fait entrer. Tu bois, tu manges, t’en reprends à boire. Tu ris.
Tu ris beaucoup.
Tu sors de là, la ville t’appartient. Mon pote, pour que je puisse rigoler encore beaucoup, draguait sauvagement les filles au passage. Et moi, j’essayais de marcher droite.
On rit beaucoup en ville.
Plus tard cette journée là, je rendais ma visite quotidienne au marchand de DVD.
No-life un jour, no-life toujours hein!
Sur place, j’ai réalisé que j’étais sans le sou. J’avais pas ma tête.
Je baragouine ça timidement au vendeur. Il me répond que pffff c’est pas grave du tout, que je suis folle de m’excuser, que je peux en prendre autant que je veux des dvd.

Il me propose même de me donner de l’argent, histoire que je reste pas bloquée.
 C’est quoi ce geste, qu’ailleurs on verrait même  pas en film. Le dépannage, made in algeria.
En sortant, j’avais envie de le dire à tout le monde.
 Ok c’est pas exceptionnel dans nos pays, mais ça reste génial.
La classe, pure et transparente, c’est aussi beaucoup ça.
J’avais envie de crier à Alger qu’elle regorgait  d’une générosité d’une allure folle.  Que même si c’est l’automne en Algérie, y aura toujours quelqu’un ou quelque chose pour mettre un peu de pop dans votre air!
Mamzelle Namous