A l’approche de Achoura, fête magnifique, jour férié, on a essayé, en vain, de négocier le pont.
On a pleuré, on a dit qu’on allait voir la famille, là haut dans le village, mais les gens de l’administration, des gens moches et gris,  ils ont rien voulu comprendre et nous laissent dans le brouillard grisonnant de nos vies.
 Mais fort heureusement, encore et toujours, des jolies vues, et des intermèdes hors de l’espace-temps.

 

C’était donc il y a quelques jours. Je sortais tard de la maison, comme à mon habitude.  Comme je suis passagère, j’ai toujours le nez dehors, même dans le froid et la pluie, à regarder le ciel et les gens.
Devant un commissariat,  une vision foudroyante. Un homme, un rien sublime, se tenait là, face à la route, dans l’ouverture grouillante des magasins de céramique et de faïence. Sa bouche cachée par le nuage de fumée de sa clope.
Un trench beige, une allure d’acteur des années 60. La classe ( la pure)  s’était invitée dans mon quartier.
Si j’avais pu stopper la voiture, arrêter le temps, descendre, courir. Dire bonjour monsieur, puis-je vous prendre en photo, pour montrer à Alger qu’elle garde des gens magnifiques en elle?
Si j’avais pu……………. Non non, soyons sages. Oublions la pop.
Vers midi,  j’appelle ma soeur pour lui dire  » T’as vu le mec devant le commissariat?? ».
Non, parce que dans mon esprit, une merveille ne peut être que sculpturale.
Non, Mina, non…….. T’as bu? Je sors à 7h et toi à 10h, comment veux tu qu’on croise les mêmes gens? 
Non, j’avais pas bu. Mais j’ai décidé d’y remédier, je kidnappe donc un ami à moi et on se traîne dans un resto en ville.
Ca faisait un moment qu’on avait pas marché dans les ruelles de Didouche, du coup on savait plus trop comment faire.
Le resto, tu sonnes, on t’ouvre, on te dévisage gentiment, on te fait entrer. Tu bois, tu manges, t’en reprends à boire. Tu ris.
Tu ris beaucoup.
Tu sors de là, la ville t’appartient. Mon pote, pour que je puisse rigoler encore beaucoup, draguait sauvagement les filles au passage. Et moi, j’essayais de marcher droite.
On rit beaucoup en ville.
Plus tard cette journée là, je rendais ma visite quotidienne au marchand de DVD.
No-life un jour, no-life toujours hein!
Sur place, j’ai réalisé que j’étais sans le sou. J’avais pas ma tête.
Je baragouine ça timidement au vendeur. Il me répond que pffff c’est pas grave du tout, que je suis folle de m’excuser, que je peux en prendre autant que je veux des dvd.

Il me propose même de me donner de l’argent, histoire que je reste pas bloquée.
 C’est quoi ce geste, qu’ailleurs on verrait même  pas en film. Le dépannage, made in algeria.
En sortant, j’avais envie de le dire à tout le monde.
 Ok c’est pas exceptionnel dans nos pays, mais ça reste génial.
La classe, pure et transparente, c’est aussi beaucoup ça.
J’avais envie de crier à Alger qu’elle regorgait  d’une générosité d’une allure folle.  Que même si c’est l’automne en Algérie, y aura toujours quelqu’un ou quelque chose pour mettre un peu de pop dans votre air!
Mamzelle Namous