C’est chiant quand on est tous ému par les mêmes choses, prenez la neige et gardez la. Comme beaucoup, j’overdose du beau du blanc, des exclamations. Même dans le blasé, on est communs.
Comme tout le monde, j’ai dis que je veux pas aller travailler lundi, je me suis habituée à la couette que je traîne autour de moi. Comme tout le monde, ce matin je me suis levée, j’ai mis cinq couches de fringues comme si je vivais en Europe de l’est, et je suis sortie prendre le bus.
Je l’ai attendu, je l’ai pas vu. Je suis descendu un peu plus bas, on sait jamais, il n’est pas venu. Je suis remontée, j’ai eu très froid, j’ai senti que tous les automobilistes se foutaient de ma gueule.
J’ai même cru que certains repassaient juste pour se moquer de moi.
A 8h, le bus était toujours pas là, et comme j’étais la seule à attendre, j’ai pleuré un petit peu, je sentais plus mon nez tellement le froid, je savais même pas si je devais me moucher. Ca, c’est le pire.
Je suis retournée chez moi, ma mère a ri, moi j’ai pleuré. Ma grand-mère m’a demandé pourquoi j’avais pas fait du stop, que toutes les étudiantes faisaient ça en son temps.
J’ai dit que je n’étais plus étudiante, faudrait peut-être qu’ils s’en souviennent un jour.
Elle a suggéré que je reste à la maison. J’ai pensé à comment j’allais justifier une absence encore. C’est qu’ils déconnent pas à la charika, ils vérifient, ils font marcher les pointeuses, ils font leurs comptes d’épicier et ils raflent le fric.
Ma grand-mère a dit qu’elle allait me conduire, j’ai regardé les infos en l’attendant. Ils ont parlé de la neige, de la vague de froid, du gouvernement français qui n’a pas sablé équitablement le territoire, des parisiens heureux de jouer face à la tour eiffel . Ca a duré 15 minutes.
Ensuite, pendant une minute et trente secondes ( j’ai compté), ils ont mentionné Guéant et sa connerie sur les civilisations. J’ai pleuré la sienne.
Ca divertit les infos, mais ça donne envie de chialer.
Ma grand-mère m’a emmené, dans une voiture qu’elle seule sait conduire. Le genre de bagnole qu’a vu la première neige en Algérie.
Elle a dit les choses que tout le monde dit , surtout les vieilles: « ils auraient pu dégager les routes quand même ».
Les routes étaient dégagées.
« Avance connasse ». Elle parlait à une autre vieille.
« Dégage yekhi cavi yekhi« , a propos d’un mec qui avait deux autocollants sur sa voiture: un apple ( quoi de plus commun), et une effigie che guevara.
Yekhi cavi yekhi. Y a des gens qu’ont rien compris à la vie.
Ma grand-mère a ajouté » si Ernesto voyait ça…. », sur un ton: Ernesto je l’ai connu. Je l’ai tellement bien connu que je peux pas te raconter.
J’ai regardé la neige fondre.
Je suis arrivée au boulot, on m’a demandé de justifier mon retard, je réfléchis en ce moment à la réponse adéquate à cette requête.
J’ai passé mon badge sur la pointeuse, un truc jaune a clignoté, ma journée a commencé.
J’ai écouté des femmes me raconter ce qu’elles avaient cuisiné pour le mouled, j’ai souri en disant que ça devait sûrement être très bon. Un jour , dans quelques années, je serai de celles qui demandent » derti sauce blanche wella sauce rouge?« .
Un jour, pas encore.
J’ai écouté des jeunes femmes me raconter les prouesses de leurs gosses dans la neige, j’ai fait semblant de rire et j’ai eu envie de fuir. Quand elles disent « La3kouba lik les enfants« , je serre les poings.
Un jour, je serai de celles qui répondent nchallah.
Et un autre jour encore plus tard, je dirai « amine« , et je les serrerai dans mes bras en remerciement d’un si bon présage.
Un jour, quand ma famille arrêtera de me prendre pour une étudiante.
Il n’est même pas 11h et ma voix est déjà rayée par les politesses d’un usage que je m’impose, sans vraiment savoir pourquoi.
Il est presque 11h, c’est déjà presque l’heure de se préparer pour aller à la cantine. Il y a du couscous aujourd’hui.
Ne me demandez pas quelle sauce.
Mamzelle Namous
p.s i love you : demain je passe à la radio, sur c’est tout show, chaîne 3, à 9h. Faites péter les postes, les téléphones, les écouteurs, les satellites, les transmissions!