Mon amie mère de famille ( j’en ai qu’une, faut pas pousser), elle a un seul gosse. Mais on dirait qu’elle en a quatre, tellement c’est trop le bordel dans sa vie. Je l’ai vu une fois son fils, il a presque 5 ans et il sait pas parler, on dirait un peu un sourd-muet. J’ai osé un « comment s’appelle son orthophoniste déjà?« , la mère n’a pas compris ma question. Elle considère son fils comme un génie ( normal ), et le moindre de ses faits et gestes est relaté comme un exploit exceptionnel ( normal). Même le fait que son caca soit marron clair le jeudi matin, on y a droit ( c’est super).
J’ai parfois envie de lui dire que tous les gosses sont comme ça, mais j’ai peur qu’elle pense que je suis jalouse et envieuse. Et l’envie est un vilain sentiment.
J’aime pas le week-end, parce que même pour nous autres célibataires, libres et insouciantes, des obligations s’imposent.
La samedi, ma mère s’arrange toujours pour me traîner dans un endroit où j’ai pas envie d’aller. Et si je lui dis non, elle me fait une leçon de morale sur mon égoïsme alors qu’elle m’a tout donné , et ma méchanceté à la laisser sortir seule un samedi matin. Elle me demande ce que les voisins vont penser d’elles en la voyant marcher seule.
Euh……… Rien?
Elle me fait culpabiliser, et je tombe dans le panneau. Direction le vieux hamam du quartier. Grâce à notre cabas qui pèse trois tonnes, tous les voisins savent où on va. Au retour, ils nous gratifieront d’un « bssahatkoum« .
Notre hamam est vieux et réduit à l’essentiel, mais on y est habituées. On tape la bise à la patronne, on lui achète un pot de savon noir et un gant de toilettes.
Dans l’anti-chambre du bain, y a toujours au moins une nana recouverte de crème dépilatoire printania. Ce truc sent tellement fort que ça manque de t’arracher un poil à toi aussi. Et c’est l’occasion de voir qu’il y a des filles qui s’épilent vraiment partout, partout……partout.
On entre dans le bain, pendant que ma mère désinfecte nos places, je mate les vielles dames intégralement nues à la peau tombante qui me faisaient peur quand j’étais petite. C’est toujours le cas.
Une kyassa ( frotteuse professionelle) passe et me demande » nkayssek? » (tu veux que je te frotte mon enfant?). Ma mère l’envoie balader, elle préfère que ce soit une autre kyassa qui s’occupe de mon corps: Celle qu’a 70 ans, pèse le poids de toute ma famille réunie et qui manque de m’arracher un sein quand elle passe son gant. Ca serait pas drôle sinon.
Je regarde un petit garçon de quatre ans qui court partout au milieu des bonnes femmes avec son zizi à l’air. Je me demande à partir de quel âge faudrait apprendre à les laisser avec leur père .
Après une heure de transpiration, de frottage, de séchage et de repos , on retourne à la maison.
Mais le samedi ne fait que commencer. Ma grand-mère veut aller faire du shopping ( shopping = vaisselle, carrelage, tissus, produits d’entretien) . J’ai envie de crier noooooooo, mais lui dire non ça serait de la haute trahision, du crime d’Etat, ça serait même pas digne d’un harki.
Alors on sort, on se plaint que j’ai toujours pas de voiture, on insulte ceux qui ont en une, particulièrement un beggar qui bouffait un cornet de glace à l’intérieur de sa touareg. (parce qu’à nos yeux un type avec une sale dégaine et une belle bagnole c’est forcément un beggar).
On insulte aussi les jeunes hijabistes sexy (celles qui se moulent dans du 38 alors qu’elles font du 42) qu’ont des jolies petites voitures, parce que c’est pas normal qu’elles en aient une, et pas moi (on a des logiques imparables oui).
On fait quelques magasins, on oublie les produits d’entretien et les tissus. Ma grand-mère, quand elle voit du monde quelque part, elle répète des trucs du genre: « les gens sortent hein!« ; » les gens ont de l’argent hein« ; « pourquoi y a des voitures garées ici? y a rien! ». Et elle trouve la réponse toute seule » sûrement un dealer de drogue dans le coin ».
Il y a ainsi des dealers de drogues dans un coin à saïd hamdine, à ain allah, et dans le centre commercial d’el-biar. Les stup’ peuvent débarquer.
On rigole, on se chamaille, on se moque gentiment des flics qu’ont un air un peu benêt mais qu’essaient d’avoir une expression dure sur leur visage.
On se dit que les gens aiment trop renvoyer une drôle d’image d’eux-même, qu’ils y soient obligés ou pas, que c’est une triste quand on y pense, mais drôle à regarder.
Le lendemain, au travail, le cirque des masques reprend, et on écoute chacun geindre un coup, frimer deux coups, prétendre au troisième coup, et se perdre un peu du même coup.
Mamzelle Namous