Le soleil! La plage! La famille! San Pellegrino!
Ah que la vie, ici, pourrait ressembler à une sublime publicité pour une eau gazeuse.
Mais non, mais non….Au lieu d’avoir juste chaud, on étouffe. On cherche encore sa plage (vous allez où à la plage à Alger? ), on voit trop peu sa grande famille, et l’eau gazeuse, nous les arabes, on aime pas ça.
Je raconte tout ça parce qu’avec le mariage du frère, la famille elle vient. On se retrouve à l’ombre des parasols, on mange beaucoup, on dit qu’on mange trop. Ensuite on va acheter des gâteaux.
Avec mes cousines, avant, quand on se retrouvait pour l’été, on criait comme des tarées. On criait la joie et l’excitation qui venait.
Maintenant on hurle moins ( quoique…) mais on en pense pas moins. On se raconte nos histoires de young adults, et moi dans ma tête, j’en reviens toujours pas qu’on ait grandi. J’arrête pas de penser à y a plus de dix ans, quand notre seul but dans la vie était d’échapper à nos mamans, d’aller faire la fête toute la nuit au bord d’une piscine, et de tomber follement amoureuse d’un mec de 23 ans.
Bon, on tombait amoureuse tous les quinze jours, mais c’était rarement réciproque.
Pas grand chose n’a changé depuis, à part que maintenant nos mères veulent nous caser, que le garçon n’est plus cet horrible tabou, mais que nous, ça nous ennuie un peu.
On n’a plus envie de mettre des somnifères dans le café de nos parents aussi. Ni de décoller le parasol du sable et de courir après, juste pour se faire remarquer ( ouais, à 14 ans, faut ce qu’il faut…)
Les sujets de conversation n’ont pas beaucoup évolué, les visages un peu. Les rires ressemblent toujours à une poulaillerie.
Le soir, en se quittant, on a du mal. On se dit cinq fois au revoir, on reste deux heures de plus, on se retape la bise.
Quand on était petites, on faisait semblant de dormir pour que les parents ne nous séparent pas. Ca marchait souvent.
Ca a marché hier.
Mais au lieu de nous laisser discutailler dans le noir, ma mère nous a mis à contribution dans l’atelier dragée (le travail à la chaîne du remplissage de dragées). La maison ressemble d’ailleurs à une dragée géante, à un fleuriste qui perd ses bouquets, et si on fait pas gaffe en marchant, on se prend facilement un mekroud dans les pieds.
Mais on se sort de tout ça, on tourne partout, on cherche à bronzer la nuit, on cherche les crèmes du miracle.
On se demande aussi chez quel coiffeur/maquilleur aller se faire belle le jour j. Il faut quelqu’un qu’aura la brillance de pas nous mettre de faux cheveux ou de faux cils. Quelqu’un qui ne dénature pas, qui ne nous vieillisse pas trop. Qu’on ait la fraîcheur des jours de grande plage. (Vous en connaissez des coiffeurs qui font cet effet-là ?)
Ma grand-mère mièle les gâteaux et nos tournages en rond la gênent. Elle nous dit de fermer nos gueules, de repasser le karakou bleu sans l’abîmer, de penser à mettre un peu de vodka dans un thermos. Qu’il manquerait plus qu’elle soit complètement sobre ce jour-là; et que si on est trop guindées justement , elle nous en donnera peut-être un peu pour nous décoincer.
Mais sans que vos abrutis de pères ne s’en rendent comptent.
Elle a 18 ans ma grand-mère, elle a figé sa jeunesse quand les gens trop proches sont morts. Et qu’en guise de tristesse qui ne mûrit pas, elle porte les corps comme s’ils n’étaient pas partis. C’est plusieurs personnes à la fois, c’est la vie qui pétille, qui se guinde parfois mais qui, au fond, se moque de tout. Et à la voir, on se dit qu’on aura beau grandir, on aura toujours sa jeune jeunesse dans les tripes.
Mamzelle Namous