Vous vous souvenez d’Esprit Bavard, cette revue littéraire qui regroupe plein de textes de plein de gens bien?
Eh bien l’éditrice, Khadija, m’a proposé d’écrire pour le deuxième numéro à paraître bientôt ( enfin bientôt…nchallah). Ca serait ma première publication sur papier glacé ( wouhouu), et pour ça elle a eu une idée vraiment géniale: raconter une rencontre avec Louisette Ighilahriz.
Louisette ( déjà j’adore ce prénom), c’est cette militante FLN qui, en 2001, a brisé le silence sur le viol comme arme de torture pendant la guerre.
Alors qu’on sait que c’est l’arme la plus facile et la plus humiliante, la plus utilisée par les bourreaux, mais personne n’osait en parler apparemment.
L’envie de l’éditrice était d’organiser un dialogue entre une moujahida et une nénette de l’Algérie d’aujourd’hui, et malgré mes appréhensions de n’avoir rien à dire ou à pondre, j’ai dit oui tout de suite.
Khadija nous donne alors rendez-vous à la bibliothèque nationale et j’ai commencé à me faire des films.
J’ai imaginé que Louisette viendrait avec son petit-fils, qu’aurait mon âge bien sur, ou un âge opportun, et qu’une merveilleuse histoire d’amour naîtrait sur fond de mémoires de guerre, qu’un jour on aurait une fille qu’on appellerait Minette. Ambiance téléfilm de 13h30!
Direction la BN. A l’entrée, on me demande si je suis enseignante. (c’est pas la première fois tiens). Euh non connard. J’ le prends mal, je regarde ma silhouette, je regarde autour de moi. C’est vrai que les étudiantes sont très i’m sexy and i know it, et moi un peu sage.
Je me pose une question grave : si j’intégrais des éléments i’m sexy and i know it dans ma dégaine, est-ce que j’aurais plus de chances de rencontrer un mec?
Je vais vers Louisette. La première chose qu’elle me dit « vous êtes jeune! ».
Joie dans mon coeur.
J’en oublie l’absence de petit-fils.
Sur un malentendu, elle pense que je travaille à la cinémathèque et elle trouve ça merveilleux. Je dois rétablir la vérité, dire mon métier à la charika watanya qui n’a rien de funky ou d’artistique. Que je fais face à un mur de 8h à 16h30 cinq jours sur sept, victime stupéfaite de la semaine et du week-end. Que j’ai un numéro de tel à 4 chiffres, une pile de dossiers chiants, et aucune responsabilité ou esprit d’initiative.
Je vois bien qu’elle est déçue mais l’éditrice arrive à ce moment-là et on vacille vers la littératuture, la culture, l’édition, la confiture, le blog.
On parle de tout, on écoute Louisette qui est une femme super drôle.
A un moment, on entend une énorme détonation. Trop fort pour un pétard, trop pas assez pour une bombe.
On continue à regarder les arbres en face.
Le sujet des viols durant la guerre vient….
Elle raconte que sa plainte contre des militaires français et ses propos ont été mal reçus par ses camarades de combat.
Même dans ce contexte de guerre et de torture, le viol reste associé à la honte, au déshonneur. De la femme, de sa famille, sa société.
On élargit, c’est pareil pour les victimes des terroristes, un tabou que rien n’ébranle.
Alors que merde, un viol c’est une agression, un crime avec toute la charge que ça implique pour soi et ses proches. Mais pas un déshonneur familial. S’il se réduit à ça, on en veut pas de cette honneur.
Il devrait pas y avoir de honte sociétale à se faire agresser. C’est l’animal en face, incapable de civilisation, qui devrait avoir honte.
Ce jour-là, à la cafétéria de la bibliothèque, elle était contente, car certaines autres moujahidates commencent à parler aussi.
On a parlé de plein d’autres choses, on a ri encore. On va se revoir, et j’espère que j’arriverai à écrire, comme il se doit, ce qu’elle a en elle et ce qu’il nous en reste.
Mamzelle Namous
p.s officiel : si vous avez envie de faire passer un message à Louisette, poser une question, dire quelque chose, dire bonjour, je transmettrai avec grand plaisir.
p.s caché: aidez-moi à dire des choses intelligentes s’il-vous-plait!!!