dallas (1)

 

En ce moment je suis à Paris, il fait gris, il fait froid, il fait que l’émotion est encore vive et les rues un peu plus vides.

Y a deux jours, j’étais avec une amie dans une boutique un peu chic et choc. On y était entrées en même temps qu’un groupe de gens du Moyen-Orient, et la vendeuse s’était jetée sur eux.

Pendant que ma copine se perdait seule dans les rayons, je me suis greffée avec les autres arabes. Histoire de voir. On se ressemble, on a la même sale gueule, mais les vendeuses, elles, savent d’emblée bien différencier les choses. J’ suis pas sûre que ça tienne seulement à l’habit, il doit aussi y avoir quelque chose dans votre accent et votre air qui crie je suis riche, je suis riche! Je fais vivre l’industrie du luxe en France! Vénérez moi!

Alors que deux autres vendeuses étaient venues leur manger les pieds, le groupe a dit qu’ils étaient juste là pour la retouche d’un manteau en fourrure. Ils demandaient un délai très court, et les vendeuses ont grimacé, le tailleur a beaucoup de travail avec les fourrures en ces temps froids. Mais les arabes du Moyen-Orient ça les a pas déstabilisé, ils ont juste dit qu’ils pouvaient payer plus cherrrr s’il le fallait, mais fallait que ça soit rrrrapide. Les vendeuses ont dit que non c’était pas du tout une question d’argent, et d’ailleurs vous venez où?
-D’Arabie Saoudite.
-Ah c’est merveilleux. Marhaba! Ha ha ha!
C’est là que ma copine m’a appelé, et que le magasin s’est rendu compte que j’étais pas de la famille royale. Ma copine galérait un peu et quand on accostait une vendeuse, on avait même pas droit à un bonjour. Quand on demandait si tel modèle existait, on se voyait offrir « oui il y en a à l’étage, mais c’est très cher». 
Légèrement vexées, on décide de jouer le jeu et de monter les escaliers vers le cher. Là, je retrouve ma famille saoudienne…avec un tailleur qui regarde la dite fourrure. C’était pas une question d’argent mais il s’est pointé quand même. Et toujours les trois vendeuses en émoi.

A cet instant-là, j’ai voulu être saoudienne, ou au moins d’une royauté du Moyen-Orient. Rouler joliment des airs, mettre des jeans armani, des peaux sur mes bras, et de la fourrure sur mes seins. J’aurais aimé me déplacer en groupe, être protégée de tout et voir que des sourires sur les faces des autres. Et jamais voir ce que disent les Autres quand je suis pas là. D’ailleurs je m’en serais foutue de leurs petites opinions sur mon pays, les droits des femmes, les droits tout court. Devant moi, ils se la courbent.
Hier matin, j’allume la télé, et je vois que le Roi Abdallah est mort. Curieuse coïncidence, et deuil personnel dans mon coeur. C’est que je m’attache facilement aux gens riches.

J’apprends que le prix du baril bondit d’un coup, que les pays arabes décrètent trois jours de deuil national et que les grands de ce monde se rendront à Ryad pour sécuriser leur hommage.
Les algériens se demandent le pourquoi du comment de cette tradition de deuil national, surtout que c’était pas trop notre super pote Abdallah, et que notre conception de la vie humaine est généralement un peu risible ici-bas… Mais voilà, l’amour, le vrai, entre Grands Arabes est inconditionnel, on peut pas comprendre.
En plus, en Arabie Saoudite ils ont pas que la géologie, y a la Mecque aussi, et c’est là qu’on veut tous aller au moins une fois dans sa vie, alors on se la courbe et on coupe la musique.
 
Mamzelle Namous