C’était un vendredi matin, fin de matinée, y a quelques semaines à Alger, dans mon quartier de vis-à-vis, vue-à-vue et de vis ma vie.
Je crois que ma mère et ma grand-mère attendaient la prière à la télé, que mon frère dormait, et que mon père faisait les cent pas dans la cuisine .Moi j’ trainais près de la fenêtre, je regardais la jeune voisine d’en face faire son ménage. Elle s’y prend un peu plus tard le vendredi, c’est le week-end, la liberté, la folie .
Elle aère les draps, pose des petits tapis sur le rebord du balcon et passe le balai, puis la serpillière. Un processus bien coordonné sous mes yeux. Pour l’occasion elle ne porte pas son voile, même si des gens peuvent la voir. Je remarque qu’elle a teint ses cheveux en blond, ça lui va plutôt bien.
Parfois son mari passe, ils se disent des choses puis il repart. Lui j’ai dû le voir une ou deux fois arroser des plantes. Les hommes aiment bien faire ça, des allers-retours avec une bouteille vidée de fanta ou de coca qu’ils remplissent avec de l’eau du robinet et qu’ils viennent vider religieusement sur trois pauv’ plantes, comme s’ils faisaient quelque chose de super important. Toute la maisonnée doit savoir qu’ils s’activent durement, peu importe qu’ils fassent tomber des gouttes sur leur chemin, et que la femme doive repasser un petit coup après.
Bref, l’heure de la prière approchait, et les hommes commençaient à faire leur apparition dans la rue déserte. Certains se pressaient, en sautillant presque. D’autres prenaient tout leur temps, leur dégaine ressemble presque à du groove, le tapis de prière posé nonchalamment sur l’épaule.
Un ou deux traînaient leur fils dans leurs pieds et le petit devait faire courir ses petites jambes pour être au même rythme que son papa .Je voyais ces hommes sortir d’une petite ruelle et continuer leur chemin, chacun avec son air bien à lui.A un moment, j’avais envie de leur lancer des psssst psssst, de me foutre à poil derrière le rideau et de les emmerder, comme ça nous arrive à nous. Mais bon, en les matant autant, j’ai crée trop d’intimité avec eux, je pouvais pas aller plus loin.
On les traite souvent de tartuffe, de faux-cul, mais à bien les observer, ceux-là qui passent sous ma fenêtre, je suis sûre qu’ils sont plein de sincérité. Et ce chemin qu’ils empruntent chaque vendredi, c’est pas pour rien. Peu importe ce qu’ils veulent ou ce qu’ils sont. Ça nous regarde pas, on se contente de regarder leur pas.Y en a qui sont plein de malice et je me dis qu’une fois que toute cette malice réunie se retrouve à la mosquée, est-ce qu’ils ne font vraiment que prier ?
Non c’est pas possible, y a forcément autre chose. Ils font une fête, ils se mettent à danser, ils lèvent les bras et le corps s’élèvent aussi, ils s’élancent et se jettent au ciel. Leurs prières se rejoignent et se quittent, c’est un ballet. Certains réussissent à sauter mieux que d’autres, ils ont une souplesse qu’on jalouse et qu’on veut copier. Mais ça vient pas comme ça, il faut beaucoup danser et beaucoup resprier pour atteindre certains niveaux.
C’est presque inné chez quelques-uns d’entre eux, on dit parfois que la souplesse c’est une affaire de gènes aussi et de ce qu’on a appris en étant petit. Mais rien n’est fatal.
Et de semaine en semaine, les hommes dansent à s’ouvrir et à s’élever .
Une fois que c’est fini, ils prennent une mine morose avant de quitter leur scène, pour que personne ne se doute que là-dedans c’est la fête. La fantaisie reste secrète et ils repeuplent les rues vidées. A la maison, les femmes aussi ont caché leurs secrets et s’affairent comme si de rien n’était. On peut se mettre à table, ou redire pour la troisième fois à son gosse de mettre les couverts.
Mamzelle Namous