Vendredi jour du seigneur, jour du ramadan en plus, ils ont été nombreux à aller à la mosquée. Pour Ali, 28 ans, c’était la première fois.
Depuis quelques années son père s’était mis à la prière, en faisant du bruit. Il n’avait jamais été particulièrement pratiquant avant, quand on lui parlait de religion, il faisait sortir un « pffff » de sa bouche, et on lui en parlait de plus en plus souvent.
Pourquoi tu pries pas? pourquoi tu jeûnes pas? tu veux pas accompagner tes soeurs ou ta femme à la Mecque? Dir hassana kbira.*
Le même pfff. Parfois il lançait même des insultes dans l’air, à l’intention de personne, mais à une masse imaginaire de tartuffe. Si c’est pour être comme eux, non merci. Ils prient ils prient, ensuite quand tu vois ce qu’ils font…biiiip.
Sa femme, une femme sage, avait beau lui dire que c’est pas parce que des gens se comportent comme des cons que ça entache toute la religion, rien n’y faisait, le père d’Ali y restait sourd.
Il lui arrivait même de narguer sa femme en mangeant du jambon quand ils voyageaient ou de trinquer à la santé des musulmans. Mais attention, en bon algérien bien comme il le faut tout de même, il n’y avait pas de ça à la maison.
Il était même impensable que sa fille puisse boire de l’alcool. Ça pouvait être toléré pour le garçon, moins dramatique en tout cas, mais fallait pas que ça soit visible.
Et puis un jour bim bam boum, on a su que le père d’Ali avait été touché par la grâce. On sait pas trop comment ni pourquoi, y a pas eu d’évènement apparent ou de changement radical, mais on a commencé à le voir à la mosquée.
A la maison, il s’est mis à ne rater aucune prière, il se lève tôt, il est à fond. S’il faut faire attendre les gens ou prier en plein milieu des invités, il se gêne pas. Et de temps en temps il joue même les pères la morale. Un jour il a reproché à sa femme de pas faire la prière aux heures précises..
Sa femme, pieuse depuis longtemps, n’a jamais pratiqué l’ostentation et ne sait pas trop comment lui dire « tu nous emmerdes, retourne à ton cochon ».
Elle se contente de lui dire « khelini tranquil »**
Et il la laisse tranquille, c’est quelqu’un de gentil et de bon, et d’élégant aussi. C’est juste que la religion est arrivée d’un coup, et sur le tard, et il sait pas toujours comment gérer.
Au début il soûlait un peu ses enfants, puis il s’est calmé, ils étaient grands, et chacun faisait ce qu’il voulait.
Son fils Ali était justement le pratiquant algérien lambda. Ramdane, starfallah, hamdouleh, nchallah, voilà voilà.
Mais récemment, à cause de choses pas forcément très graves mais qui vous retournent un peu le coeur, il s’est mis à prendre la mesure des choses , à voir la vie et les gens, et même un peu lui-même, d’une autre manière.
Il est pas devenu témoin de Jéhovah non , mais il est un peu moins inconséquent.
Sa pratique de la religion n’a pas changé tout de suite, si ce n’est qu’il ressent de plus en plus la présence de la foi dans sa vie, sans que ça change son quotidien.
Quelques années ont passé comme ça, et cette année, aux premiers jours du Ramadan, il ne se sentait pas très serein. Petit à petit, il a pensé à la prière. Les gens disent que ça fait du bien après tout, mais ça demande beaucoup de patience…boring… Il a demandé conseil à sa mère. Elle a proposé qu’ils le fassent tous ensemble alors, ça serait plus simple pour commencer, et plus convivial aussi.
Sa petite soeur a décidé de les rejoindre pour le fun, et tous ensemble dans le salon, ils ont étalé leur petit tapis. Les enfants ont éclaté de rire dès les premières secondes, et du coup les parents aussi. Après quelques tentatives ratées, ils se sont calmés.
Ali a eu du mal à tenir le rythme après, c’est que 5 prières par jour c’est quand même beaucoup y’a rebek.
Il s’y tient tant bien que mal. Vendredi, son père lui a dit « et si tu venais avec moi à la mosquée? ».
Curieux, il y est allé. En marchant dans la rue, il avait l’impression d’être un petit garçon que son papa emmenait au manège.
La folle excitation en moins. Un peu d’appréhension même.
En arrivant, il a reconnu plein de voisins. C’était un peu le manège et il ne savait pas trop comment se comporter mais il suivait son père. Il a pu remarquer que les gestes de son père étaient un peu gauches, qu’il dégageait une sorte de fragilité au milieu de cette foule bien rodée. Il avait l’impression que son papa jouait à faire la prière. Il avait jamais remarqué une telle candeur à la maison.
Mais là, au milieu de ces pros, de ces voix sûres, de ceux qui récitaient un peu fort, de ceux qui prenaient des airs beaucoup trop sérieux, de l’excès de zèle, du trop d’assurance, il a vu toute l’innocence de son père.
Ça l’a étonné, mais il a trouvé ça touchant. Et il s’est dit qu’il aimerait être comme ça, faire les mêmes mouvements tant de fois tant d’années et rester vulnérable face à ses propres mouvements.
C’était peut-être ça la bonne foi.
Mamzelle Namous
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*ça serait une super bonne grande action
**laisse moi tranquille mec, bouge de là
*****Je suis moins souvent là, mais je traîne pas mal sur instagram, on se raconte des petites histoires parfois, venez !