L’année qui débute va être mauvaise, je le sens, ça se sent.
Faut-il tout de même échanger nos vœux ? Après l’avoir trop entendu, et trop dis, je suis lassée.
Faut-il parler du réveillon ? Oui oui oui ! Comme beaucoup d’algériens, je suis une makhlou3a[1] du réveillon, j’aime ça, j’adore ça. Le jour J, alors qu’une fête des plus glamourous se préparait, j’ai pointé chez ma coiffeuse de quartier. Celle qu’on aime pour le brushing cheveux raides méga raides brulés étirés, mais à qui on demanderait jamais au grand jamais de nous couper les pointes.
Donc je me pointe chez elle, beaucoup de nénettes bien sûr, celles qui se coiffent, celles qui s’épilent, celles qui se poilent. J’attends mon tour en apprenant dans un magazine que Johnny et Sylvie ont eu un fils et qu’il s’apelorio David, le scoop, ça fait plaisir.
Ca parlote dans le salon, et une nana commence l’étalage des convictions «Bouh nos enfants ils connaissent pas achoura, et ils fêtent le réveillon, la galette de rois, la st valentin et même halloween». Moi, sympa, je lui réponds «Vous vous rendez compte, on fête même nos anniversaires, honteux, je vous dis, honteux !». Le regard noir de la nana m’a fait froid dans le dos. Mais c’était rien à coté de ce que j’ai lu dans le journal, Joe Dassin est mort ! Mortifiée j’étais d’apprendre ça. Les nanas m’ont demandé pourquoi je pleurais, j’ai dit que c’était à cause des pinces à bigoudis. Et la coiffeuse m’a répondu «Faut chouffrir pour être belle madmoiselle».
De l’autre coté du rideau, y a la partie esthétique et maquillage, des filles y entrent, des monstres en sortent. Faut-il être Shrek pour être belle ?
Pendant que je lis dans une revue que la chanson « Poupée de cire poupée de son » vient de sortir, la coiffeuse m’enlève mes bigoudis. J’ai dans l’esprit des cheveux ondulés et soyeux, j’ai dans l’esprit une coiffure comme celle des filles dans les séries télé. Dans le miroir je vois Sheila.
Dans le miroir je vois mes larmes et la sale tronche de la coiffeuse.
Dans le miroir je vois la nana qui a demandé une épilation chatounette en cœur mettre son hijab. Et la coiffeuse de me murmurer « tu sais elle est pas mariée ».
« Tu sais, je m’en fous, c’est quoi cette coiffe ? ». Elle continue « T’as vu, wellah c’est n’importe quoi le hijab hada, allah yahdina[2] ». Je demande si y a une chance pour que mes cheveux reprennent une forme normale d’ici quelques heures. Elle m’entend pas, elle est à fond, elle me dit que le proprio de la boutique de vêtements masculins de la rue a une sex tape avec la hijabia qui vient de sortir. L’esthéticienne entend et nous dit qu’elle a cette sex tape sur son phone et nous la montre.
Dans le miroir je viens de perdre tout résidu d’innocence.
Je sors, 300 dinars, merci, au revoir. Ressembler à un caniche, ça n’a pas de prix.
Je rentre chez moi, ma petite sœur a déjà descendu une bouteille dort.
Je vous passe les détails de la soirée parce que franchement j’ai tout oublié y a rien de spécial à raconter !
Quand je reprends le boulot, j’ai envie de pleurer. Mes collègues parlent de la hausse des prix. Moi sympa je parle aussi «Et vous avez vu le prix de la bûche ? Honteux, je vous dis, honteux ! ». Regard bizarre. Ils parlaient plus de l’huile et du sucre. Chacun ses goûts après tout. Moi je demande jamais les prix dans une épicerie, parce qu’ils sont pas affichés sur le produit, mais sur ta tête. Alors j’essaie de pas faire celle qui sait pas et qu’on peut arnaquer. Quand l’addition semble trop sucrée, je demande le détail et le vendeur me regarde comme si je le trahissais « Kifach, madirilich confiance, ana khouk[3] ! ». Ok ok mec, arnaque moi, je dirai rien.
Dans les magasins de fringue, quand tu demandes le prix, on te répond automatiquement « 3000 dinars (c’est un exemple) mais on vous aide madmoiselle». Là t’es contente, t’y crois, t’es à fond, tu aimes l’entraide algérienne, et tu reçois une remise de 150 dinars.
Ok…. 150 dinars c’est la somme que demandent les mendiants de Sidi Yaya, mais merci quand même. Tu voudrai bien négocier encore, mais t’es fatiguée et ta position de caniche (oui, après trois lavages mes cheveux ne sont toujours pas redescendus) ne te le permet pas.
Oui, on aime gratter un peu quand c’est possible. Mais moi au moins j’arrête la pratique aux frontières nationales. Ce qui n’est pas le cas de mes parents, qui en France ou ailleurs, aiment négocier les prix. Ca les fait rire, et quand les vendeuses comprennent que c’est une blague, ça les fait rire aussi. Et tout le monde rit, et parle de l’Algérie.
Sauf moi, pétrifiée de honte, cachée dans une cabine d’essayage.
Dans le miroir j’ai le regard de mes 10 ans et je pleure. Je sais que dans quelques années je ferai comme mes parents. Je demande déjà qu’on baisse le son de la musique dans certains restos.
Dans le miroir, le mimétisme avec mes parents est inévitable.
Je pleure, je ris, bonne année.
Mamzelle Namous