Aujourd’hui c’est la folie, je ne sais pas ce qui se passe, mais j’ai ouvert le journal. Quinze ans que c’était pas arrivé.
J’ai pris Liberté, j’ai lu une interview de Plantu. Entre autres choses, il disait ça :

« J’avais déjà compris, grâce à Dilem, la liberté dont il disposait. Je l’ai toujours dit, depuis plusieurs années en France : il y a des dessins que Dilem a fait dans Liberté que je ne me permettrais pas de faire dans Le Monde. Non pas que dans Le Monde, il existe une forme de censure, mais parce qu’il y a une autre approche de l’humour et de la sensibilité des lecteurs. Pendant la guerre civile, Dilem a fait des dessins drôles sur des tragédies. 

Moi, je me l’interdis. C’est une question de mentalité. De toute façon, mes lecteurs n’apprécieraient pas que je fasse un dessin drôle au lendemain d’un massacre en Algérie. Ce n’est pas dans la mentalité et l’humour français. Donc, chacun doit vivre avec sa mentalité et respecter ses lecteurs. Moi, j’étais très impressionné de travailler ici à Liberté car je ne voulais surtout pas décevoir les lecteurs de Liberté.« 

 

 

Ca m’a rappelé une discussion que j’ai eu il y a quelques jours, avec des amis, sur notre perception des années du terrorisme.

 

Je crois qu’au début, comme j’étais petite, je comprenais pas trop ce qui se passait. Quand j’entendais des horreurs, je me disais que c’était pas possible que des humains puissent commettre des choses pareilles, que c’étaient surement des extraterrestres.

C’est ainsi que je me suis mise à croire aux extraterrestres.

 

Ensuite, quand j’ai compris qu’on pouvait s’endormir ou se quitter sans plus jamais se revoir, je vivais dans une terreur constante.  On se disait «  salut, à demain« , mais on pensait  » moi aussi je t’aime« .

 

Je me souviens, qu’une fois, je dormais seule avec ma mère dans une maison de vacances,  et en plein milieu de la nuit, dans la chambre, j’ai  été réveillée par une bande d’hommes qui parlaient en arabe classique.

L’heure était arrivée.

Me suis pissée dessus.

 

 

C’était le réveil qu’était en mode radio.

 

 

 

Et puis au collège j’ai rencontré Amel. Amel est devenue ma meilleure amie très vite. Elle faisait des blagues sur tout, et je riais tellement que je me retrouvais souvent par terre.

Non mais vraiment par terre.

Amel faisait des blagues sur les terroristes. J’ai peut-être été sceptique les premières fois, mais j’ai vite rejoint ses éclats de rire. C’a été une libération.

Le fait de partager nos craintes,  les phrases de certaines personnes pour nous rassurer ( non mais si les terroristes débarquent, ton seul salut est de te faire tuer en premier, pour ne pas voir les autres mourir….. ouais superrrrr tu parles d’un réconfort).

Nos fausses frousses en attendant le frère qu’est allé acheter le pain, nos putain de vraies frayeurs sur les routes nationales.

 

 

Je me disais souvent qu’Amel avait sauvé ma vie, j’admirais son aptitude à rire de tout, et sa capacité à nous contaminer. Dans nos éclats de rire, et les larmes qui coulaient, c’est un peu du drame qui nous quittait.

Il n’y avait pas que la peur qui pouvait contracter nos ventres, il y avait désormais, aussi, nos vies pliées de rire dans les escaliers du lycée Descartes.

 

Alors bien sûr de ces années là, on garde en mémoire ce qui nous a le plus endolori, la ville vidée des lendemains de drame.

Et la souffrance comme un vent qui nous prenait tous.

 

 

Quelques années plus tard, en 99,  on était trop jeunes pour voter, trop jeunes pour vraiment comprendre.  On voulait juste bien dormir la nuit, ne plus avoir peur de la une des journaux, ou d’être interrompus, en plein milieu d’un film sur tf1, par un flash info « nouveau massacre sanglant en Algérie« .

 

 

 

Et il y a quelques jours, j’ai donc repensé à Amel et à ses plaisanteries tordues sur les « terro ». Comme une arme magique qui sauvait un peu notre adolescence.

 

Cet humour algérien, dont on parle souvent,  il n’est pas noir.

Il a la couleur des arcs-en-ciel.  Mais de ceux, trop vifs, qu’on ne voit jamais en vrai.

 

 

 

 

 

Mamzelle Namous