Morning Sun Edward Hopper


Il y a quelque temps, on rencontrait le fils du ministre. Il est moyennement grand, plutôt mignon mais sans plus non plus, mais son charisme de jeune riche l’aide un peu dans son physique, et il avait une meuf. Ils doivent bientôt se marier. 

 

Je l’ai rencontré la semaine dernière, elle a enfin fini ses études de commerce à Nice. Ca lui a pris du temps (trois ans quand même), beaucoup d’argent, mais ça valait le coup. C’est une intello maintenant. 

Après une cérémonie où elle a eu la chance et l’honneur de jeter son chapeau en l’air (elle se sent grateful et fulfilled sur facebook, en même temps que proud, so happy and beautiful, et elle a just achieved the most challenging thing in her life ), elle est revenue vivre à Alger. 

C’est pas qu’on a pas renouvelé sa carte de séjour non, elle sait même pas ce que c’est. Elle compte au moins trois nationalités occidentales depuis les années 90. Faut se protéger contre les aléas de la vie quand on est algérien. 

C’a un prix, faut acheter des biens, des parts, créer des adresses, mais ça aide pour les dossiers de naturalisation. 

A l’époque, on pensait pas à aller accoucher à l’étranger, mais maintenant oui. 

 

Bref elle est rentrée, mais elle en a déjà marre, tu comprends. Elle voulait, parce qu’avec toute son expérience, elle veut construire quelque chose en Algérie, faire quelque chose pour ce pays, apporter sa valeur ajoutée, son savoir-faire, c’est important tu sais.
Pour ce faire, elle gère pleinement quelques commerces familiaux. 

Mais voilà tout est pourri ici, à commencer par les gens qui bossent pour elle. Ils comprennent pas ce qu’elle dit, ils font pas ce qu’elle demande. Ils ont pas le niveau. A un moment c’est plus possible. Du coup elle souffre, et ça la fatigue. 

 

Son visage peut pas supporter ça. Le week-end, elle voudrait d’ailleurs se faire un soin, ou un spa pour se relaxer. Elle en a essayé quelques uns, mais c’est pas comme à Nice. Y a pas les mêmes produits, les mêmes femmes. Ici c’est mou, c’est algérien, les masseuses te parlent de leurs problèmes d’algériennes, de leur mari, de leurs gosses. Et toi tu t’en fous. Ca aurait pu te faire rire, mais non ça te fait juste mal aux oreilles. 

 

Elle retrouve plus ses repères d’avant. Sa coiffeuse a fermé, elle va en voir une autre qui lui demande tout le temps « derti les mèches? »

-Oui. 

-Fi franssa?

-Oui. 

-C’était un hooomme?

-…..

-Derhemlek chghoul bizarre. Habtin bezaf. 

-Un peu sur le côté la frange s’il te plaît. 

(Délicatesse de la coiffeuse qui n’aime pas sa couleur et le lui dit)

 

Les endroits pour sortir ont changé aussi, tout a pris une couleur morose. Y avait bien les soirées Limitless de temps en temps, mais c’est tellement démocratique. Et tous ces gens qui lui posent des questions sur son mariage et sur son mec. Son mec à qui toutes les nénettes tapent la bise et la main sur l’épaule. Ces pétasses de bas étage en retard de deux modes. Elle pourrait virer rouge, leur cracher dessus et cracher sa rage à son mec, mais elle fait tout son possible pour rester digne. 

Comme le chante Keren Ann, même si on y tient vraiment, restons de glace, restons élégant.

Alors elle lève un peu la tête, se mord l’intérieur de la bouche et prend un air blasé/froid/j’ te vois même pas. Elle a pas le choix pour survivre. A force de crispations, son visage perd un peu en tendresse de l’âge et elle ressemble de plus en plus à sa mère. 

Live hard, die young, son crédo, sa photo de couv’. 

 

Mais pour l’instant elle prépare son mariage. Elle a parfois des doutes sur son futur époux mais elle les cache tellement au fond de son ventre qu’on se demande si elle en a elle-même conscience. Sa mère la prend parfois en pitié et voudrait lui dire qu’elle a le choix, mais sa raison lui revient et elle se dit qu’au pire sa fille souffrira un peu comme tout le monde et que son mari finira bien par rentrer. 

Et puis il est bien ce garçon.

 

En attendant, faut ressortir les plus grands sourires et aller au Maroc faire faire quelques caftans. Parce qu’à Alger c’est bien joli ce qu’on nous vend, mais c’est parfois un peu du foutage de gueule. Elles en savent quelque chose. 

 

 

Mamzelle Namous

(d’autres vis ma vie ici, , et par là! )