photo Into the gloss

Ados, on passait nos grandes vacances dans la ville balnéaire de ma grand-mère. Petite ville comme il en existe des tas, un peu plus riche peut-être, à cause de sa raffinerie, mais qui ne paie pas de mine non plus. On a grandi à la lumière des torches qu’on voyait au loin. La plupart des gens ne les aiment pas, ça pollue, c’est pas bien, faut arrêter. Nous, on adore. Et puis ça pollue pas tant que ça, c’est pas le sud. 
 A la fin des années 90, c’était encore le terrorisme, les grandes frayeurs, mais on prenait la route chaque année. La petite maison humide était un peu excentrée, presque au milieu de nulle part ( aujourd’hui elle est au milieu de tout), juste des montagnes derrière et la mer devant. Suffisait de traverser, y avait même pas beaucoup de voitures. 
Quand ils étaient mignons, on essayait de draguer les maîtres-nageurs, mais c’était pas la fête chaque année, et on devait être un peu ridicules avec notre jeune âge dont on n’avait pas conscience.
Quand on s’ennuyait on allait embêter les couples. 
 

Le soir, la plupart du temps, on se rendait à un endroit qui s’appelait la piscine. Piscine le jour, piste de danse et café la nuit. Pour familles et jeunes gens. De ados de 15-17 ans comme nous, des beaux mecs de 22 ans, des jeunes filles de 26 qu’on jalousait, des mamans qui prenaient un thé sur le côté terrasse, de tout. Un soir un orchestre, un soir un DJ. 

Evidemment on préférait le DJ. On hurlait de joie quand on apprenait que c’était le Dj. On se préparait, nos parents nous déposaient, ils ne rentraient pas toujours avec nous ( joie), 50 dinars chacune, un petit clin d’oeil au « videur » pour qu’il nous surveille, geste qui nous mettait hors de nous, et roule ma poule. 
Dans une ambiance totalement décontractée et bon enfant, les jeunes se défoulaient sur la petite piste autour de la piscine, garçons et filles mélangées. Danses provocantes parfois, jeunes filles qui se jettent dans la piscine en fin de soirée, numéros échangés, amours commencés,  rêves brisés, la totale, she’s fresh she’s so fresh exciting et tubes de l’été et tout ça tout ça. 
 
Aujourd’hui, l’endroit est fermé et cassé et Oh Mon Dieu rien de tel n’est envisageable. Le long trottoir qui longe le bord de mer est un désert triste. Les filles ne se mettent en maillot que sur les plages qui ont été privatisées, et on les voit de moins en moins ces corps innocents. 

A l’époque, on se faisait draguer certes, parfois c’était un peu lourd, mais ça restait mediterranean way. Il n’y avait rien de méchant ou de dangereux.
On vivait une époque dangeureuse mais on avait pas peur de vivre entre nous, on ne se méprisait pas.

Aujourd’hui, j’entends ma petite cousine de 18 ans me dire la haine qu’elle voue à cette société, cette société qui ne la laisse pas s’épanouir en tant que femme comme elle le voudrait. Elle regarde des photos de sa mère dans les années 70, en mini tiny jupe, en bikini, en vagabondage libre, elle écoute nos histoires de mélange des genres, sans malveillance, et je crois qu’elle ne nous croit pas. Impossible d’imaginer l’équilibre des tranches de population.
On a reparlé des cas de jeunes filles qui se voient refuser l’entrée dans une institution publique pour cause de tenue trop légère. Ces petits cons qui font la loi. Ces petits cons que l’Etat n’a pas su éduquer, a recruté sans former, sans rien dire sur les abus. 

Ces petits cons dont on craint les paroles crades dans la rue, qui veulent changer nos moeurs. Et nous, qui parfois jouons le jeu.
Je déteste être celle qui ne porte pas telle robe, pour être tranquille.
Parfois on sait très bien qu’on ne risque rien, personne ne vous agressera, mais vous n’avez pas envie des regards et des remarques, vous êtes fatiguées, alors vous jouez le jeu. Pas de fines bretelles, plutôt un débardeur plus ample. Non des petites manches. Pas cette robe, trop courte, j’suis pas en voiture. 
 Les premiers temps, au boulot, c’est en voyant des filles qui osaient s’habiller comme elles voulaient, en se moquant des remarques des autres femmes, que certains matins je me disais « et merde ». Parce que la plupart du temps, le reproche vient d’abord des nanas. 
 Alors la seule chose que j’ai pu dire à ma petite cousine, qui rentre à la fac cette année, est de résister. De s’habiller comme elle en a envie, sans tomber dans la provoc ou la débilité, mais sans jouer le jeu du « faut pas se faire remarquer, j’ préfère être tranquille ». On a assez joué, on a perdu. 
 Evidemment cette remarque ne vaut que dans les quartiers où vous ne risquez pas de vous faire suivre par une horde enragée prête à vous mordre. Je ne veux la mort de personne, je le jure, je veux juste un jour retourner à la piscine et voir ma cousine fondre d’amour pour un DJ qui last nite saved her life. 
 
Mamzelle Namous