Ca déglingue un mariage, ça rend fou, ça fait qu’on court partout, qu’à la fin on se dit « tout ça pour ça! », et qu’on veut plus en parler tellement ça ressemble à rien.

 

J’avais pourtant décidé de vivre la vie comme elle allait, sans trop m’immiscer dans les préparatifs. Sans la préparation physique aussi. Parce qu’apparemment quand on est la jeune soeur, on a l’importance du rôle, on doit  être belle et gracieuse et tout faire pour être au top ce jour là.
Moi, une semaine avant j’ai zappé cette partie et  je suis allée me couper le veuch, en oubliant le précepte selon lequel plus ton cheveu est long plus t’es une femme bankable. Ouais.

 

La veille du mariage, ma petite soeur et moi cherchions encore où se faire bien coiffer. Des âmes bien intentionnées nous avaient conseillé d’aller chez un coiffeur à said hamdine. Le dit coiffeur propose de faire un chignon à 12000 dinars, rien de moins. On fuit.
Je dis à ma mère qu’on a qu’à se préparer seules, ça sera mieux. Elle m’a regardé comme si je venais de lui dire «  maman, je suis enceinte ». Ouais, rien de moins. Et nous a envoyé chez quelqu’un en ville. Ce quelqu’un nous a promis simplicité, rapidité et a même cité Grace Kelly dans ses descriptions stylistiques. Pleurs de joie des deux filles.
Trois heures de casque, de brushing, de tirage de cheveux, d’étalement de fond de teint et de coutour des lèvres ( beurk beurk beurk) plus tard, nous ressemblions à des prostituées déguisées en David Bowie. Le maquillage n’a même pas coulé quand j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. C’est que ça dégage pas ces conneries là. Le coiffeur n’a pas compris, il nous a dit «  mais c’est ça un chignon à la Grace Kelly ».
Faut croire qu’on a pas la même filmographie.

 

Quand on est rentrées à la maison, mon grand frère nous a gratifié d’un « ce soir, j’ vous connais pas ».

 

Le soir venu, nous avions réussi à estomper  et à applatir un peu la masse sur le crâne, et on a essayé d’apprécier la fête. Cela faisait des mois que ma mère et la maman de la mariée se pliaient en quatre et parcouraient le monde ( enfin le monde d’oran à constantine) pour que chaque détail soit raffiné et parfait. Mais en Algérie, le sens du détail n’existe pas , ou si peu, et ça elles n’y pouvaient rien, alors la fête a fini par ressembler à toutes celles qu’on déplore à longueur d’étés.

 

Comme dans tous les mariages la musique était trop forte et la mariée s’est changée tellement de fois qu’on l’a à peine vu. Comme dans tous les mariages, y avait une cousine qui s’agitait dans tous les sens, à aller et venir, comme un mauvais metteur en scène.
Comme dans tous les mariages, y avait une lointaine cousine éloignée qui essayait de s’imposer dans le staff ( c’est celle qui vérifie que toutes les barrettes du chignon sont bien mises).

 

Comme dans tous les mariages, un dispositif de sécurité a entouré la henna , y avait des vigiles autour ( les tantes proches) et des vigiles en civil un peu plus loin ( les amies proches). Parce qu’une cérémonie du henné non sécurisée peut vous valoir stérilité et divorce.

Comme dans tous les mariages, y avait aussi  la névrosée du mauvais oeil. Celle qui voit le mauvais oeil partout et qui le chasse par anticipation. Quand la mariée passe, elle récite des sourates pour la protéger. Quand il manque un bourek à table, c’est à cause du mauvais oeil, bien évidemment.

 

Comme dans tous les mariages, y avait des nanas que personne n’a invité ( ce sont les cousines des amies d’une copine) et que tout le monde remarque, tellement elle sont sexy et sont toujours les premières sur la piste de danse. Bien sûr, elles sont bien maquillées elles.
Toi, tout le monde est choqué quand t’arrive et t’as systématiquement  droit à  » oh minaaaaa je t’avais pas reconnuuuuu ».
Ouais normal, j’ai laissé ma face chez le coifffeur. Mais tout le monde ment et te dit que t’es beeeeelllllle!  T’as envie d’y croire, mais t’y crois pas, mais tu dis quand même merci. T’espères juste qu’un jour tu vas recroiser ces gens et qu’ils verront qu’en réalité t’as une tête normale.

 

T’essaies de trouver ta mère pour lui faire un bisou, mais elle est trop occupée avec les mondanités, et elle t’en veut toujours à cause de tes bijoux, parce qu’:
1. Ils ne sont pas en or ( le drame pour une mère algérienne)
2. Ils ne sont pas assortis ( ce qui signifie que tu n’as pas assez d’argent pour t’acheter toute une parure – rien que le mot me répugne. L’humiliation pour une mère algérienne).
3. Ils sont trop fins, tu parais nue ( t’es pauvre).

 

 

A 4h du mat, on était à la maison. A 5h30 , on avait épuisé tous les cotons et démaquillants de l’Afrique du Nord, et on s’endormait avec un « biiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiip » dans la tête.

 

Le lendemain, on commérait sur les gens ( la meilleure partie du mariage), sur  « t’as vu comment elle danse celle-là »;  « t’as vu comment hadik elle a pas décroché un sourire de toute la soirée »;  « c’était qui le beau mec au fond, il a quel âge, tu le connais, il fait quoi dans la vie, tu me le présentes? » ; « Madame Benabdelmachin elle était là?  Pourquoi sa fille n’est pas venue? Elle est jalouse? »;   « La baklawa était un peu trop petite quand même ».

 

Voilà, c’est fini, on est tellement crevés et ruinés qu’on est même pas tristes ou émus ( le mariage à l’algérienne ne laissant aucune place à l’émotion). Et sur le ton de la solennité, on se déclare «  plus jamais ça ».

 

 

 

Mamzelle Namous