photo Yacine Merabtine

 

 

Jeudi matin, douce route du travail, frisottis au vent, radio allumée. Comme chaque jour, on y entend des spot d’encouragement ( ou de forcing, je sais pas trop) au vote pour les élections législatives en Algérie.

Enfin,  je veux dire Legislative elections for algeria ! Yeah Baby! Car on a droit à un mini-slogan en anglais, et en espagnol aussi. Allez savoir pourquoi….

Entre les merveilleux spots – qui plus tu les écoutes, moins t’as envie d’aller voter ( mais je vais y aller  quand même, je VOUS rassure, yekhi je l’ai écrit mardi, croyez moi, le 10 mai, ma petite école primaire me verra, je le jure ) –  des témoignages de gens sont diffusés.

 

 

Ces gens on ne sait pas qui ils sont, mais ils ont quelque chose à dire, et des scoops à livrer .  Jeudi par exemple, un type nous parlait des améliorations du système éducatif dans notre pays. Paraît, selon lui, que les choses à l’école et à la fac vont de mieux en mieux, car l’Etat mène des actions pour ce faire.
La voix du mec était pleine de satisfaction, ça fait franchement plaisir. Je me demande aussi sur quelle fréquence il racole.

 

Ensuite, ce même type (j’ai dû zappé la partie où il s’est présenté) a parlé des actions gouvernementales en faveur de l’insertion professionnelle.  Il a évoqué les prouesses de l’Anem ( l’agence pour l’emploi), des contrats pour les jeunes, des trucs cools, porteurs et prometteurs, une vie à la wonderland.

 

Il fait déjà chaud dehors, mais mon frère me dit que c’était pas encore le moment de mettre la clim.  Il me demande  « tu te rappelles du temps où tu traînais à l’Anem? »

 

Ouais, j’y ai traîné, deux ou trois fois. C’est l’endroit où tous les espoirs se cassent la figure entre eux.

Car avant d’entrer à la charika watanya ( entreprise publique nationale étatique), faut passer par la case Anem et en ressortir avec un petit carton bleu de chômeur professionnel.
Comme ça,  dans les chiffres et écritures officielles,  c’est grâce à l’Anem que vous avez trouvé du travail…….wonderland j’ vous dis.

Vous vous retrouvez donc à  passer  trois jours à chercher à quelle agence vous devez vous rendre (ça dépend d’où vous habitez, d’où vous êtes né).

Une fois que vous l’avez trouvé, c’est comme trouver Jésus-Christ.  Mais pour y entrer, il vous faut un rendez-vous avec une « conseillère » qui vous délivrera le petit carton bleu magique.
Pour  que le tout ne  vous prenne pas un an de votre vie , une ma3rifa (connaissance pistonnante) peut être d’une grande aide.
Deux semaines, 36 coups de fils, autant de prises de tête plus tard, vous décrochez un rendez-vous.  Mais à la mauvaise agence. C’est con hein, ils ont confondu votre commune de naissance et votre commune de résidence.

 

Ô petit carton bleu, petite pièce parmi tant d’autres de ce putain de dossier de recrutement, te verrai-je un jour? 

 

Au bout d’un mois ( la ma3rifa de base n’est pas une faiseuse de miracles),  je finis par être au bon endroit au bon moment.

Je n’attends qu’une heure, je suis sans emploi donc j’ai le temps. Grande pièce, on entend tout, on voit tout.

Des jeunes types qui se sont arrêtés au brevet se voient proposer des jobs, je ne me souviens plus du salaire  mais  me souviens de leur sourire. Un sourire avec de l’espoir,  que rien ne porte, et qui ressemble à de la mélancolie.  Un sourire algérien en somme.

Y avait pas cette satisfaction crétine dans leur voix, juste du soulagement.

 

Mon tour arrive, la nana du bureau me dit:  « alors t’as trouvé un travail toi, c’est ça? »

– oui, j’ai juste besoin de la carte chômeuse.

-Ok, hop, hop, hop,  enregistrement des données, carton délivré.

Merci, au revoir.  Je suis maintenant une chômeuse officielle, dans les chiffres de l’Etat et tout le bazar.  Tout le système il est content!

Mon amie selma est morte de rire, c’est la honte elle me dit. Elle a raison.

L’affaire  doit remonter à deux ans comme ça, mais pourtant,  régulièrement, je reçois des appels de l’agence de l’emploi de bab el oued qui me demande si j’ai trouvé un travail.

Euh….. On était pas dans l’arnaque ensemble? 

 

Cet appel de la loose tombe, évidemment, toujours au moment où vous êtes avec un pote qu’a trop la win dans sa vie.  Genre un super boulot, un salaire d’expat, un titre de post incluant les termes business manager et tout le binze qui va avec.

Et vous, vous devez répondre au mec de l’Anem « oui oui c’est bon j’ai un travail. Vous pouvez m’effacer de vos registres. Merci. 

Adieu pleeeeeeeze adieuuuuuu » .

 

Votre pote vous demande qui c’était.  « Oh un chasseur de tête, tu sais ce que c’est ! »

« C’était lequel? je le connais ptêt’. »

« Non, non non. Ta gueule maintenant ».

Merci à l’inconnu de la radio de m’avoir rappelé à ce souvenir en ce jeudi matin.

La semaine prochaine, ce même type nous racontera certainement, avec une autre voix,  que notre pays est un modèle d’urbanisme. Alors n’oublions pas d’écouter les spot legislative elections for algeria baby, c’est toujours plein d’histoires extraordinaires, de fééries, de nain et de merveilles.  En général c’est le genre de trucs qu’on conte aux enfants pour les faire rêver et tenter de les  endormir,  mais qui n’a pas envie de ça de bon matin aussi?

 

 

Mamzelle Namous